Accords fiscaux Rubik : une bonne affaire pour la Suisse ?

Le Bundesrat allemand doit se prononcer vendredi sur Rubik, l'accord fiscal avec la Confédération helvétique. Mais pourquoi donc ce vote est-il si important pour Berne ?
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Ce vendredi 23 novembre, la chambre représentant les Länder allemands, le Bundesrat va se pencher sur l'accord fiscal d'impositions signé avec la Suisse. Cet accord est devenu une pomme de discorde au sein de la classe politique allemande. Tandis qu'à Berne, Zurich, Bâle ou Genève, on observe avec angoisse les développements de cette querelle germano-allemande, le temps est peut-être venu de s'interroger sur le véritable intérêt qu'à la Suisse à voir le Bundesrat allemand ratifier enfin cet accord.

La crise du printemps 2009

Pour bien saisir l'enjeu, il faut remonter à la fin de l'hiver 2009. Cette année-là, en pleine crise mondiale, les dirigeants européens cherchent une parade de communication pour faire face au mécontentement des opinions publiques. Les « paradis fiscaux » sont alors les cibles rêvées. Et la Suisse, première destination internationale des fonds se dirigeant vers les banques privées, est naturellement pointée du doigt. D'autant que les Etats-Unis ont commencé à mettre la pression en réclamant à UBS le nom de 52.000 de ses clients américains soupçonnés de fraude fiscale.

Nouvelle stratégie helvétique

Placée en mars 2009 sur la « liste grise » des paradis fiscaux de l'OCDE, montrée du doigt par les sommets du G-20, la Confédération, qui s'est longtemps arc-boutée sur ses principes et sur son secret bancaire, décide de changer de stratégie. Berne accepte l'échange d'informations en cas de soupçon pertinent et est ôtée en septembre de la liste grise de l'OCDE. Le conseil fédéral (le gouvernement suisse) lance sa nouvelle stratégie : celle de « l'argent propre. » C'est alors que se met en place la stratégie d'accords bilatéraux d'imposition.

Principes de l'accord

Baptisés « Rubik » en raison de leur complexité, ces accords prévoient l'effacement des dettes fiscales passées du déposant en Suisse, moyennant le paiement d'une contribution forfaitaire sur le capital déposé et, dans l'avenir, le paiement d'une taxe là aussi forfaitaire sur les revenus de ce capital. L'argument en faveur de ce système est simple : il rapporte rapidement de l'argent au pays signataire. L'alternative, c'est l'échange de données, prévu notamment par le traité signé récemment avec les Etats-Unis. Mais dans ce cas, le recouvrement des sommes est plus périlleux. « L'épluchage de données est un exercice long, difficile et pénible. Je suis prêt à parier qu'il est plus rentable de compter sur la taxe forfaitaire de l'accord Rubik que sur le travail des administrations fiscales, même les plus efficaces », affirme un haut fonctionnaire suisse.

Neutralité suisse

Officiellement, à Berne, on affirme que la Suisse ne cherche pas à « imposer ce modèle ». « C'est juste une possibilité qui est ouverte pour les pays intéressés », affirme ainsi un diplomate helvétique. La Suisse offrirait donc aux pays partenaires une solution simple, mais non obligatoire. La réalité est toutefois un peu différente : la Suisse a cherché à obtenir le plus d'adhésion possible sur ce type de modèle.

Sauvegarder le secret bancaire

Car ces accords sont très intéressants pour la place financière suisse. D'abord, parce qu'ils assurent définitivement le secret bancaire. Les fonds taxés sont collectés par les banques suisses et les transmettent à la Confédération. Laquelle se contente de reverser à l'Etat signataire une somme globale sans précisions sur l'identité des porteurs des comptes en Suisse. C'est capital pour les banques helvétiques, car, quoiqu'en disent leurs représentants, qui tentent de faire accroire que le secret bancaire n'est pas le principal fondement de leur attractivité, il n'en est rien. Sinon, rien n'empêcherait les établissements de la Confédération de renoncer pour leurs clients étrangers à ce secret. Mais en vérité, la concurrence est forte et plusieurs autres places financières, comme l'Autriche, ont conservé le secret bancaire.

Moralement blanchi

Deuxième raison : une fois l'accord signé, la Suisse en est quitte pour des années de pratiques quand ses établissements bancaires ont favorisé la fraude et l'évasion fiscale. La belle pirouette morale de cet accord fiscal, c'est qu'il blanchit la Confédération de ses fautes tout en reconnaissant implicitement ces dernières. Ethiquement, la Suisse achète donc sa paix. C'est loin d'être anecdotique, car Berne veut apparaître comme un « bon élève » et veut se débarrasser de cette « tâche morale » qui lui est constamment reprochée et qui gâte ses relations avec le reste du monde. Tous les responsables politiques suisses sont sur ce point d'accord, il faut en finir avec l'image de paradis fiscal qui, il est vrai, ne rend compte que d'une partie seulement de la réalité suisse. Et le risque n'est pas mince : en 2009, les relations germano-suisses s'étaient fortement tendues sur ce sujet fiscal, ce qui avait fait craindre des conséquences économiques. Bref, la Suisse a besoin d'être blanchie.

Un accord « waterproof » ?

Vient ensuite une troisième raison, moins glorieuse. Ces accords « Rubik » sont-ils aussi « waterproof » que ce qu'affirment les responsables suisses ? La Confédération fournit à la presse des argumentaires pour répondre aux éventuels « failles » de l'accord. Sur plusieurs points au moins, ces arguments manquent de conviction.

Le principal est évidemment le problème des trusts et fondations basés dans des paradis fiscaux anglo-saxons. Ces structures juridiques présentent l'avantage de dissimuler les vrais bénéficiaires des fonds derrière des ayants droit. Rien n'empêcherait donc un déposant en Suisse de transférer son argent dans un de ces trusts avant l'entrée en vigueur de l'accord pour le faire revenir en Suisse bien caché derrière l'ayant droit. Ici, l'argument suisse est faible : « si la banque parvient à déterminer l'identité des bénéficiaires (...), elle doit traiter ces derniers comme des personnes concernées au sein de l'accord fiscal », écrit le département fédéral des finances, l'équivalent du ministère des Finances. Certes, mais si elle n'y parvient pas ? Le fraudeur passera dans les mailles du filet et la banque suisse conservera les fonds de son client...

Des délais avant mise en oeuvre problématiques

D'autant que, entre la ratification et la mise en ?uvre de l'accord, peuvent s'écouler plusieurs mois ou en tout cas plusieurs semaines au cours desquelles le déposant a la possibilité de fermer son compte et de transférer ses fonds dans un pays tiers. Dans ce cas, secret bancaire oblige, la Confédération se refuse à donner les noms de ceux qui ont fermé leur compte. Elle se contente de transmettre au pays signataire la liste des 10 premières destinations de ces « fuyards. » Aux autorités fiscales du pays signataires d'agir ensuite avec ces pays tiers. Mais sur quelles bases ? Aucune, puisque les noms ne seront pas transmis. Résultat : c'est une véritable incitation à aller cacher son compte dans un trust à Jersey ou aux Îles Caïmans. Pour ensuite le faire revenir à Zurich ou Genève ? A Berne, on repousse cet argument d'un revers de main : une infime minorité d'Allemands auraient fermé leur compte en Suisse après la signature de l'accord (0,4 % des comptes détenus par des Allemands ont été clos). Mais rien de plus logique : les Allemands fraudeurs sont précisément les mieux placés pour savoir que l'accord a peu de chance d'être ratifié avant les élections fédérales de 2013....

Des contrôles incertains

Plusieurs autres faiblesses persistent dans cet accord. Le contrôle des fonds déclarés par les banques ne semble poser aucun problème aux autorités suisses qui font une confiance totale à leur secteur bancaire. « Notre propre impôt libératoire sur les citoyens suisses n'a jamais soulevé aucune difficulté », se défend-on à Berne. Mais le problème est ici un peu différent : il s'agit de citoyens étrangers, potentiellement fraudeurs. Qu'en sera-t-il des sommes déposées en numéraire ? Si en Suisse, on affirme que la pratique des « mallettes » appartient au passé, on doit aussi reconnaître que tous les banquiers suisses ne refusent pas de tels dépôts. Il faut donc que le pays signataire fasse confiance aux autorités suisses pour assurer le contrôle de la déclaration de ces fonds en provenance de l'étranger. Il y a là un vrai transfert de souveraineté basé sur la seule confiance. Or, le contrôle ne relèvera pas de la Confédération, mais de la Finma, l'équivalent de l'AMF, autorité indépendante qui est par ailleurs sur la sellette : le 15 novembre, les gérants de fortune suisses eux-mêmes doutaient, selon le quotidien zurichois Tagesanzeiger des « compétences » de la Finma. Qui s'assurera, du reste, que la Finma à les moyens suffisants pour remplir cette nouvelle tâche ?

Ces doutes conduisent à s'interroger sur cette troisième raison : et si l'accord fiscal était finalement un moindre mal pour la place financière suisse et permettait, au fond, de sauver l'essentiel, autrement dit sa clientèle issue de la volonté d'échapper aux autorités fiscales de son pays ? Un autre élément alimente ce doute : la Confédération refuse de donner toute évaluation des sommes concernées par cet accord. Ne serait-ce pas une façon de'éviter de s'enfermer dans une estimation qui pourrait être plus faible au final en raison de ces contournements possibles ? La question est ouverte, mais il est certain que les accords Rubik semblent très favorables à la Suisse. D'où la volonté de Berne de l'imposer comme solution.

Deux ratifications pour l'instant

Pour le moment, elle a certes enregistré deux succès : le Royaume-Uni et l'Autriche. Les traités ont été signés et ratifiés. Mais ces deux succès sont peu convaincants sur le plan international. Londres a toutes les raisons de s'entendre avec Berne compte tenu de son statut de principale place financière européenne et, surtout, des paradis fiscaux abrités dans les "dépendances de la couronne", comme les îles anglo-normandes. Quant à l'Autriche, elle est elle-même montrée du doigt par Bruxelles, elle s'accroche également à son propre secret bancaire et a supprimé en 2008 l'impôt sur les successions. Bref, ceci n'est pas convaincant. Avec l'Allemagne, évidemment, l'accord changerait de nature.

La clé allemande

La République fédérale a, en effet, toujours été en pointe dans la lutte contre la fraude fiscale. Les autorités fiscales de certaines régions allemandes n'ont pas hésité à acheter des CD volés aux banques suisses pour collecter des informations. La ratification de l'accord par Berlin serait une magnifique légitimation pour la stratégie de Berne et mettrait fin au risque lié à ces rachats qui se sont montrés assez efficaces sur le plan fiscal. Nul ne pourrait plus prétendre que l'Allemagne, qui a le plus de nationaux ayant des comptes en Suisse et qui a toujours lutté contre la fraude, défend un accord qui couvrent de telles pratiques et défend surtout les intérêts helvétiques. D'autant que l'Allemagne dispose en Europe aujourd'hui d'une position dominante. Dès lors, comment les autres pays européens pourraient s'opposer à un tel accord ? On comprend mieux l'intérêt de Berne à obtenir cette ratification.

L'aubaine de la crise

Certes, le débat politique interne en Allemagne est venu freiner l'optimisme helvétique, mais la Suisse a un autre atout de maître : la crise de la dette. Pour des pays dont les administrations sont peu efficientes, cet accord représente, on l'a vu, un avantage considérable : celui d'assurer une rentrée d'argent aisée, rapide et régulière. Lorsque l'on est à l'agonie sur le plan budgétaire, c'est toujours bon à prendre. Nul ne pourra reprocher à la Suisse de ne pas être ici fort utile puisque, dans ce cas, l'échange d'informations ne mènerait à rien. Voici pourquoi la Grèce, l'Espagne et l'Italie ont montré leur intérêt pour cet accord. Mais là aussi, la réflexion est à double tranchant : en rendant service à ces pays, la Suisse profite de la crise pour imposer son choix. En douceur. Car plus de pays auront ratifié cet accord, plus il deviendra incontournable. Et plus la place financière suisse pourra prospérer.

 

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Commentaires 2
à écrit le 26/11/2012 à 15:34
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Une petite lecture pour ceux qui ne savent pas ce que c'est la Suisse : Très intéressant !! http://agefi.com/dossiers/hollande-en-suisse.html

à écrit le 26/11/2012 à 14:17
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La France doit copier la méthode américaine : loi FATCA adoptée en 2010 aux Etats-Unis.

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