L'Europe, ce Nobel qui ne s'aimait pas

L'attribution du Nobel de la paix à l'Union européenne a soulevé des critiques acerbes. Pourtant, il est mérité au regard de l'originanité d'une construction politique qui est un modèle de gestion démocratique d'un continent.
Le président du Conseil européen Herman van Rompuy, le président de la Commission européenne Jose Manuel Barroso, et le président du parlement européen, Martin Schultz,reçoivent le prix Nobel de la paix attribué à l'Union européenne lundi. Copyright Reuters

A 14h11, lundi, un communiqué de la Commission européenne était publié, contenant les discours conjoints de son président José Manuel Barroso et du président du Conseil Herman van Rompuy. Exactement vingt minutes plus tard, le même texte atterrissait dans les boîtes mail des rédactions, en provenance cette fois-ci des services du second. La remise du prix Nobel de la Paix à l'Union européenne a été l'occasion d'une scène classique de la rivalité institutionnelle devenue banale depuis la création en 2009 du poste de président du Conseil européen.

Deux rivaux d'une guerre microscopique

On pourrait gloser sans fin sur le comique de cette situation, sur les petits arrangements qui ont présidé à la réception du prix par les autorités européennes ce lundi, à Oslo. Le président du Parlement européen Martin Schulz devait récupérer le trophée et pouvait garder le droit de l'exposer mais en contrepartie de cela il ne pourrait prendre la parole. José Manuel Barroso et Herman van Rompuy, eux, les deux rivaux d'une guerre microcosmique qui oppose les deux côtés de la rue de la loi à Bruxelles depuis trois ans tenaient successivement des discours sur lesquels ils ne s'étaient visiblement pas consultés. Mêlant souvenirs personnels et regrets pour la situation calamiteuse de nombreux Européens frappés par la crise, ils se ressemblaient à s'y méprendre, au point d'apparaître comme franchement redondants.

Il est facile de railler, comme l'a fait le Premier ministre britannique David Cameron, quand il a déclaré qu'il n'irait pas recevoir le prix avec les autres chefs d'Etat et de gouvernement parce qu'il y aurait déjà assez bien de monde...

Un récompense qui n'est pas injustifiée

C'est facile... et au fond déplacé. Pourquoi ne pas goûter juste le plaisir d'une récompense qui n'est certes pas gratuite - le Comité Nobel n'est pas un comité de sages omniscients, rappelait utilement lundi matin la Frankfurter Allgemeine Zeitung - mais qui n'est tout de même pas injustifiée non plus ? Certes, les Européens de l'Ouest ont été en dessous de tout en ex-Yougoslavie, laissant venir, quand ils ne l'encouragèrent, un conflit qui fit 200 à 300.000 morts en dix ans. L'Europe n'a pas réglé ses comptes avec cette guerre, notamment le rôle funeste qu'y joua par exemple le ministre des Affaires étrangères d'Helmult Kohl, Hans-Dietrich Genscher, en se précipitant pour reconnaître l'indépendance de la Croatie, au mépris de toute coordination avec Paris, Londres ou Washington.

Car - et c'est bien cela qu'a voulu récompenser le Nobel - la construction politique commencée en mai 1950 est tout de même un chef d'?uvre politique. Et peut-être que cette bicéphalie Barroso-van Rompuy n'est que la métaphore cocasse du « nouvel internationalisme », célébré par le président du comité Nobel Thorbjørn Jagland lundi après midi. Un internationalisme qui vise non pas l'équilibre entre les puissances mais la création de ces fameuses « solidarités de fait » dans le domaine économique qui cimente des nations.

Car au fond que voudraient-ils ces railleurs repus, ces critiques de la complexité européenne, qui boudent le Nobel comme on écarte son dessert après un trop bon repas ? C'est quoi leur bon gouvernement à eux ? Que voudraient-ils ? Un système simple ? Un système où tous les Européens marchent en rang derrière le guide suprême ?

L'Europe existe parce qu'elle divise le pouvoir

L'Europe existe parce qu'elle divise le pouvoir, parce qu'elle l'éclate, qu'elle en arrache des parcelles à ses parties pour en mettre un peu dans chacune des institutions : commission, parlement, conseil et parce que, ce faisant, elle le rend plus sage, plus respectueux des intérêts divers des nations.

Avec une grande sagesse et loin de tout européisme béat, le président Van Rompuy a d'ailleurs repoussé récemment l'idée d'une élection directe du président du Conseil ou de la Commission par les Européens. Pas par défiance pour les peuples, mais par réalisme, parce que, comme il l'a dit dans son discours, l'Europe c'est au fond « une conférence de paix perpétuelle ». Et pour l'instant ce n'est que cela. Mais c'est déjà énorme.

Glisser de la guerre froide à l'Europe élargie

S'il avait voulu maximiser l'efficacité symbolique de son prix, s'il avait voulu qu'il puisse s'incarner dans des personnes, et épargner à l'Union européenne le spectacles des vanités de ses dirigeants, le Comité Nobel aurait du le décerner à Helmut Kohl et à titre posthume à François Mitterrand pour avoir su glisser de la guerre froide à l'Europe élargie sans se lâcher la main. Mais il ne l'a pas fait.

Peut-être à cause des précédents rappelés par le président du Comité. En 1926, les ministres des Affaires étrangères français et allemand Aristide Briand et Gustav Streseman puis, l'année suivante, Ferdinand Buisson et Ludwig Quidde avaient été récompensés par un Prix Nobel de la paix pour leurs efforts en faveur de la réconciliation franco-allemande. Sept ans plus tard, Adolf Hitler devenait chancelier et treize ans après l'Europe était à nouveau à feu et à sang.

Célébrer l'idée et la nécessité du « bon gouvernement » qui n'est pas un point d'arrivée mais un point d'équilibre instable, c'était peut-être effectivement la meilleure chose à faire.

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