La monnaie néo-zélandaise sera-t-elle victime de la « guerre des changes » ?

Le gouverneur de la banque centrale du pays du Pacifique sud a prévenu qu'il ne tolérerait pas un "kiwi" trop fort. Mais a-t-il les moyens de ses menaces ?
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La Nouvelle-Zélande va-t-elle, à son tour, se lancer dans la guerre des monnaies? Ce mercredi, le gouverneur de la Banque de réserve de Nouvelle-Zélande (RBNZ), Graeme Wheeler, a prévenu les investisseurs que « le kiwi (nom affectueux donné par les cambistes au dollar de Nouvelle-Zélande) n'était pas un pari à sens unique. » Le grand argentier de l'archipel du Pacifique entendait ainsi prévenir qu'il ne voulait pas tolérer la poursuite indéfinie de l'appréciation de la monnaie néo-zélandaise. Une monnaie qu'il considère comme « significativement surévaluée. »

Le kiwi proche des records

Il est vrai que le kiwi, dont le nom provient de l'oiseau local qui figure sur les pièces d'un dollar, frôle des niveaux très élevés ces temps-ci. Face au dollar américain, il a passé le 13 février dernier la barre symbolique des 85 cents américains pour un kiwi. Depuis 1981, cette barre n'avait été franchi qu'une seule fois auparavant, durant l'été 2011. Depuis le mois de mai dernier, où le kiwi végétait à 75 cents américains, la hausse est donc de 13,4 %. Face à « l'aussie », le dollar australien, monnaie du premier partenaire commercial du pays, la hausse est moins sensible, mais elle est tout aussi réelle : il fallait le 14 février dernier, 1,2177 kiwis pour un aussie, le niveau le plus élevé depuis juillet 2010. La hausse depuis le point bas de juillet 2012 atteint 7,3 %.

« Safe haven »

Pourquoi un tel enthousiasme pour la monnaie néo-zélandaise ? Depuis 2010, le kiwi fait figure de « safe haven », de monnaie refuge, pour les cambistes. Pour plusieurs raisons. D'abord, la croissance économique de l'Archipel accélère depuis 2011, notamment en raison de la reconstruction de Christchurch, la troisième ville du pays, frappé par deux séismes en 2010 et 2011. Selon le FMI, cette reconstruction pourrait au total apporter l'équivalent de 10 % du PIB actuel à l'économie néo-zélandaise.

Du coup, même si elle a ralenti au dernier trimestre de l'an passé, la croissance du pays a dépassé celle du Japon et de la zone euro en 2011, mais aussi en 2012 celle des Etats-Unis. Elle devrait atteindre d'ailleurs 2,2 % en 2012 et, selon le FMI, cette année elle pourrait atteindre 3,1 %. Si c'est le cas, la Nouvelle-Zélande pourrait dépasser l'Australie dont la croissance est prévue à 3 % l'an prochain. Sans compter que l'économie australienne dépend beaucoup plus que celui de sa voisine des cours des matières premières.

Par ailleurs, les cambistes apprécient la stabilité politique néo-zélandaise (alors que l'Australie traverse une crise politique), son inflation maîtrisée et son faible taux d'endettement (33 % du PIB). Last but not least, en cette période de taux très faibles dans les grandes zones monétaires, la RBNZ maintient depuis 2009 un taux de 2,5 % qui est devenu attractif, alors même que les observateurs tablent sur une baisse des taux de la banque centrale australienne, la RBA, de 2,75 % à 2,5 %, voire 2,25 %. Logiquement, le kiwi bénéficie, en cette période d'incertitude, de tous ces éléments.

Victime de la guerre des changes

Reste néanmoins que la plupart des experts, comme ceux de la banque allemande Helaba ne tablait guère en début d'année sur une hausse du kiwi. Le fort déficit courant du pays (6% du PIB prévus cette année), le recul des prix à l'exportation, l'affaiblissement de la croissance en fin d'année, plaidait pour une stabilisation du dollar néo-zélandais. Toutes les prévisions des économistes, notamment celles du FMI, se basent en effet sur un kiwi à 80 cents américains en moyenne sur 2013.

Mais c'était sans compter avec la « guerre des monnaies. » Car la hausse récente du kiwi n'est certainement pas un hasard. Les planches à billet tournent à plein régime : au Japon, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni. La menace d'une riposte de plusieurs pays asiatiques n'est pas à exclure. Quant au franc suisse, le plancher de 1,20 franc par euro est solidement gardé par la Banque nationale suisse. Dans ce contexte, où aller chercher du rendement sur le marché des changes ? En Nouvelle-Zélande, bien sûr.

Dindon du kiwi ?

Mais Wellington ne veut pas être le dindon (le kiwi ?) de la farce. Graeme Wheeler a donc prévenu qu'en cas de besoin, son pays aussi se défendra contre la réévaluation de sa devise. La menace a certes fait effet : le kiwi a perdu ce mercredi jusqu'à 1,33 % de sa valeur face au billet vert, passant sous les 83,60 cents américains et jusqu'à 1 % face à l'aussie. Mais ne faut-il pas y voir simplement une prise de bénéfices des cambistes qui ont jugé l'occasion parfaite pour réaliser quelques-uns de leurs bénéfices ? Car en réalité, la RBNZ a peu d'armes à sa disposition pour riposter.

La baisse des taux difficile à mettre en oeuvre

Graeme Wheeler l'a, du reste, lui-même reconnu, faisant le tour des instruments à sa disposition et montrant leurs limites. Première action possible : la baisse des taux. L'Australie s'y est prêtée, sans vrai impact sur son taux de change. A moins d'une baisse massive, l'effet risque d'être peu probant dans un contexte de taux qui, partout dans le monde, sont proches de zéro. Par ailleurs, la RBNZ est tenue de respecter l'accord sur les buts de la politique monétaire (Policy target Agreement, PTA), signé avec le gouvernement, et qui prévoit une « stabilité » du niveau des prix. « Abaisser les taux serait en désaccord avec le PTA et pourrait mener à une inversion notable de la tendance qui créerait de l'inflation et détruirait la compétitivité du pays », a résumé Graeme Wheeler.

Surtout, baisser les taux serait hautement risqué dans le contexte de forte hausse des prix immobiliers notamment à Auckland, la ville la plus peuplée du pays qui regroupe près d'un tiers de la population du pays. Cela pourrait conduire à accélérer le mouvement et, finalement, à créer une bulle immobilière dangereuse.

Ni "quantitative easing", ni taux plancher

Deuxième option : recourir au « quantitative easing », autrement dit la planche à billets. Mais là encore, comme pour la baisse des taux, ce serait alimenté l'inflation et la bulle immobilière. « Pas adapté à la situation néo-zélandaise », juge Graeme Wheeler. Pourquoi alors ne pas poser un seuil plancher au kiwi face aux dollars américain et australien, à la manière de la banque nationale de Suisse (BNS) face à l'euro. Mais n'est pas la BNS qui veut. La situation suisse est bien différente de celle des îles du pacifique sud. En effet, l'achat massif de devises par la BNS n'a pas conduit à de l'inflation car l'économie suisse était en phase de ralentissement et que la Suisse bénéficie d'un fort excédent courant. La situation est juste inverse en Nouvelle-Zélande : l'économie est en phase d'accélération et la balance courante est en fort déficit (6 % du PIB prévu cette année). Du coup, les kiwis imprimés risquent de rapidement venir alimenter la demande intérieure et, donc, créer de l'inflation. « Ce serait hautement inflationniste », a reconnu Graeme Wheeler.

Bref, on le voit, les moyens de la RBNZ sont très limités. Il lui reste donc à faire peur en agitant le chiffon rouge de l'entrée de la Nouvelle-Zélande dans la guerre des changes. Mais les marchés tentent toujours de tester ce type de défis. Et comme Wellington n'a ni les outils, ni l'intérêt de faire chuter rapidement le kiwi, il y a donc fort à parier que le dollar néo-zélandais continue de grimper. La Nouvelle-Zélande pourrait donc être la prochaine victime de la guerre des monnaies.
 

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