Pourquoi il est nécessaire de consolider le budget

Michael Boskin, ancien directeur du Bureau des conseillers économiques du président George H.W. Bush de 1989 à 1993, est professeur d'économie à l'Université Stanford et membre de l'Institution Hoover.
Michael Boskin. Copyright DR

Partout dans le monde, les débats dans la sphère politique et les opinions publiques font rage et divisent quant à savoir s'il faut, et le cas échéant, quand, comment et jusqu'à quel point, réduire les lourds déficits budgétaires et les niveaux élevés de dettes souveraines. Chacun y va de ses mesures ou de ses propositions en matière fiscale, monétaire, de régulation et de dépenses, souvent diamétralement opposées. Consolider (le budget), ou ne pas le consolider, là est la question.

Attendre 10 à 15 ans, selon Paul Krugman

La gauche politique en appelle à plus de dépenses, plus d'impôts sur les hauts revenus, préférant reporter la consolidation budgétaire. L'économiste et éditorialiste du New York Times Paul Krugman propose par exemple d'attendre 10 à 15 ans. (Ces mêmes personnes avaient rejeté pour des raisons similaires les mesures de désinflation de la Réserve Fédérale, pourtant un succès, au début des années 80). La droite politique demande une réduction plus rapide du déficit par des coupes budgétaires.

En Europe, les responsables, dont la Banque centrale européenne (BCE), exigent la consolidation pour les pays fortement endettés, mais sont flexibles dans les négociations ; les électeurs, cependant, la rejettent - comme tout récemment en Italie. Aux Etats-Unis, les Républicains proposent d'équilibrer le budget en dix ans par une réforme des droits sociaux et des impôts, en limitant les exemptions, les déductions et le crédit garantissant les revenus nécessaires pour diminuer les taux d'imposition des particuliers et le taux des entreprises, qui est, à 35%, le plus élevé de l'OECD).

Aux Etats-Unis, les démocrates proposent 1.500 milliards de dollars en hausse d'impôts sur dix ans

Les sénateurs démocrates proposent 1.500 milliards de dollars en hausse d'impôts sur dix ans (en supplément des 600 milliards de dollars déjà votés au début du mois de janvier), 100 milliards de dollars (le double pour les députés démocrates) dans le cadre d'un nouveau plan de relance par les dépenses, et de modestes coupes dans les dépenses sur le plus long terme. Leur version de la réforme fiscale impliquerait de limiter les déductions pour les riches et les entreprises, sans réduction des taux.

Quels seraient les coûts et les bénéfices respectifs probables de la relance et de la consolidation ? Et quelle est la meilleure combinaison de réductions des dépenses et de hausses fiscales ?

Les économistes s'accordent sur le fait qu'en période de plein emploi, la hausse des dépenses publiques décourage les dépenses privées. Les modèles keynésiens qui prétendent qu'une relance rapide est possible grâce à une hausse des dépenses publiques en période de sous emploi montrent que l'effet s'inverse rapidement. Ce processus doit donc être répété encore et encore, comme une drogue, pour maintenir l'économie. Cette stratégie a accablé le Japon avec le ratio dette/PIB le plus élevé au monde, et de bien modestes bénéfices.

Un multiplicateur des dépenses publiques qui est susceptible d'être faible ou même négatif

Bien sûr, une étude récente suggère que l'augmentation des dépenses publiques peut être efficace pour relancer temporairement la production et l'emploi au cours de sévères récessions de longue durée lorsque la banque centrale réduit son taux directeur à court terme à zéro. Mais cette même étude suggère aussi que le multiplicateur des dépenses publiques est susceptible d'être faible ou même négatif en maintes circonstances, et diminuerait de toute façon rapidement.

Ces circonstances incluent, d'abord, un ratio dette/PIB élevé, avec des taux d'intérêt qui freinent la croissance. De même, en période d'expansion, il est plus probable que l'augmentation des dépenses publiques entraine une diminution des dépenses privées. Les dépenses en paiements de transferts et/ou en achats non militaires - qui peuvent être consolidés ou acquis moins cher à l'étranger (respectivement les panneaux solaires et les éoliennes dans le plan de relance des Etats-Unis de 2009 par exemple) - produisent plus certainement un faible multiplicateur.

Et lorsque dans une économie, les taux de change sont flexibles, si les dépenses publiques entrainent une hausse des taux d'intérêt, la monnaie se renforce, provoquant une baisse des investissements et des exportations nettes. Enfin, les effets d'une hausse des dépenses publiques peuvent être compensés par le fait que les gens s'attendent à une hausse d'impôt une fois que la banque centrale remonte les taux d'intérêt (les poussant à moins dépenser par la suite.)

Ces considérations s'appliquent aux Etats-Unis et à certains pays européens aujourd'hui. Et combinées à une mauvaise conception, elles expliquent pourquoi le plan de relance américain de 2009 a coûté plusieurs centaines de milliers de dollars par emploi temporaire créé.

Les récents plans de consolidation des pays européens ont principalement consisté en hausses d'impôts

Cette récente étude révèle aussi que parmi les pays de l'OCDE depuis la deuxième guerre mondiale, une consolidation budgétaire réussie - qui se définie par une stabilisation du budget tout en évitant la récession - a représenté l'équivalent de 5 à 6 dollars de coupes budgétaires actuelles par dollar prélevé en hausse d'impôt. Les coupes dans les dépenses, surtout en matière de prestations et de transferts, étaient bien moins susceptibles de causer des récessions que ne l'était une augmentation des impôts. Malheureusement, les récents plans de consolidation de nombreux pays européens ont principalement consisté en hausses d'impôts, y compris le plan de sauvetage de Chypre annoncé la semaine dernière.

Bien sûr, il faut rester prudent pour éviter de donner trop de crédit aux bénéfices d'une consolidation rapide. Après tout, la situation des économies américaine et européennes actuelles diffèrent en bien des points des circonstances d'après guerre - taille, consolidation simultanée dans de nombreux pays, taux d'intérêts déjà faibles, et un statut du dollar comme principale monnaie de réserve mondiale.

L'incapacité d'une législature à faire le lien avec la suivante

Mais à l'exception des cas de récessions sévères, la validité de l'argument keynésien, selon lequel il est nécessaire de retarder les coupes dans les dépenses pour éviter de saper l'économie, est au mieux incertaine, et signifierait que le contrôle des dépenses ne pourrait se faire qu'en période de plein essor prolongé. Les lourds déficits et les niveaux de dette importants réduisent les perspectives d'un essor de longue durée. Il est en outre difficile de ralentir de manière crédible les réductions de dépenses au gré du rétablissement de l'économie compte tenu de l'économie politique du budget et de l'incapacité d'une législature à faire le lien avec la suivante.

Pire encore, la décision de reporter la consolidation et l'accroissement des déficits et de la dette représentent un coût énorme. Par exemple, sans réforme majeure des programmes sociaux américains - dont l'ampleur explose en conséquence des bénéfices réels croissants par bénéficiaire et d'une population vieillissante - la prochaine génération peut s'attendre à une baisse des niveaux de vie de l'ordre de 20%.

Les réformes les plus crédibles sont structurelles

Les réformes les plus crédibles sont structurelles - par exemple, un report de l'âge de la retraite et une modification des formules de calculs des prestations - et difficiles à modifier une fois mises en ?uvre. Se contenter d'établir un objectif de réduction budgétaire en dollar (ou en livre ou en euro) est nettement moins efficace parce que cet objectif peut facilement être révisé - et les coupes inversées - pour éviter des difficultés politiques.

S'il existait un plan de relance rapide qui soit opportun et susceptible de relancer la production et l'emploi à un prix à long terme raisonnable, je le soutiendrais sans hésitation. Mais à l'évidence, une politique budgétaire réellement très efficace, même avec des taux d'intérêt proches de zéro, ne fonctionne au mieux qu'en théorie, et est sujette à des contraintes politiques majeures. La consolidation peut impliquer certains coûts à court terme, surtout en situation de récession, mais les coûts d'un report à long terme sont lourds. Il serait préférable de mettre en place un programme de consolidation crédible de manière progressive - mais cette consolidation doit néanmoins avoir lieu - et principalement par le contrôle des dépenses.

Traduit de l'anglais par Frédérique Destribats

 

© Project Syndicate 1995-2013

 

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