Allemagne : une polarisation politique peu durable ?

Voici bien longtemps que la gauche et la droite allemande ne s'était opposées aussi frontalement dans une campagne électorale. Mais est-ce réellement un tournant ?
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La campagne électorale allemande s'annonce comme une des plus polarisées de ces dernières années. La publication du très agressif plan fiscal des Verts le 1er mai a ainsi déclenché une vive réaction dans la presse conservatrice allemande. Le Handelsblatt a titré « le nouvel ennemi de l'économie », la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) « plus à gauche que la gauche. » Déjà, la presse allemande avait noté le « tournant à gauche » des Sociaux-démocrates lors de la présentation en avril de leur programme de gouvernement. A l'inverse, les critiques des conservateurs allemands contre le « socialiste » Hollande reflète un durcissement du discours de la CDU et, surtout, des Libéraux.

Une campagne de 2009 moins polarisée

Certes, en 2009, la question fiscale avait fortement partagé le spectre politique, mais ce débat avait été alimenté par la démagogie des Libéraux qui avaient promis des baisses d'impôts de 50 milliards d'euros, en dépit même de la réalité budgétaire d'alors. Les autres partis avaient du prendre position face à ces promesses, mais sans convictions. La CDU avait promis des cadeaux fiscaux à contrec?ur, la SPD une hausse du taux marginal, sans trop y croire. En réalité, les débats étaient restés très mesurés. Après 4 ans de grande coalition, il était bien difficile aux deux grands partis d'engager un combat face à un ancien allié, tandis que les deux partis « d'appoint », les Verts à gauche et le FDP à droite, ménageaient le bilan de leur futur allié potentiel et donc celui du campa d'en face. Au final, la campagne fut une des plus ternes de l'histoire de la république fédérale et on évita soigneusement de remettre en cause l'essentiel : le modèle économique basé sur les exportations et les réformes de Gerhard Schröder.

Dès la fin des années 1990, la fracture droite-gauche se réduit

En 2005, la campagne avait été plus rude, Angela Merkel avait endossé le rôle de la « Magaret Thatcher allemande », prônant un « choc libéral. » Mais en réalité, personne ne remettait en cause l'Agenda 2010 du chancelier social-démocrate sortant. Car depuis 1997, la SPD de Gerhard Schröder a adopté le slogan « le nouveau centre » et il combat sur le même terrain politique que la CDU. Parallèlement, les Verts adoptaient une position également plus centriste, et n'hésitait plus, comme à Sarrebruck en 2001, à s'allier avec la CDU au niveau local. Dans ces conditions, les élections ne se jouaient plus guère sur la fracture entre droite et gauche. Un ensemble de positions semblaient partagé par les quatre grands partis de coalition : la protection de la compétitivité et l'équilibre budgétaire, notamment. Autrement dit les fondements du modèle économique allemand : fonder la croissance sur la protection des exportations. De même, la politique européenne de l'Allemagne allait de soi et ne faisait guère l'objet d'un débat. La classe politique allemande acceptait l'euro sans réellement s'interroger sur les conséquences.

La droite insiste sur l'équilibre budgétaire pour protéger l'excédent commercial allemand

Cette année, ce consensus semble s'effriter. Et l'on retrouve une fracture plus marquée entre droite et gauche. Autour de deux thèmes notamment : la compétitivité et la politique européenne. Sur le premier plan, CDU et FDP veulent maintenir l'orthodoxie budgétaire pour réduire l'imposition des entreprises et des classes plus fortunées. Wolfgang Schäuble a accélérer le retour à l'équilibre des comptes fédéraux, alors que les comptes publics dans leur ensemble sont déjà à l'équilibre. La droite ne veut pas relâcher la pression budgétaire, mais entend au contraire dégager des marges de man?uvres pour favoriser encore la compétitivité des exportateurs et ainsi relancer la machine économique allemande en ralentissement (la croissance ne devrait être que de 0,4 % l'an prochain).

La gauche insiste sur la répartition

En face, SPD et Verts ont mis l'accent sur une meilleure répartition, via l'Etat, des richesses. La SPD souhaite augmenter de 7 points, de 42 % à 49 %, le taux d'imposition de l'impôt sur le revenu (qui prend en grande partie les gains de capital de nombreux entrepreneurs de PME) à partir de 100.000 euros de revenus annuels. Les Verts augmenteront ce taux à partir de 60.000 euros et appliqueront les 49 % dès 80.000 euros de revenus annuels. Le SPD et les Verts prônent un impôt sur la fortune que les Verts espèrent voir rapporter 100 milliards d'euros sur dix ans. Les Sociaux-démocrates veulent aussi encadrer par la loi la hausse des loyers pour qu'elle ne dépasse pas 10 %. Avec cet argent, la gauche entend augmenter les prestations sociales et les investissements publics. La SPD entend même suspendre une de ses réformes phare des années 2000 : la retraite à 67 ans. Droite et gauche semblent donc avoir repris leurs places outre-Rhin, avec deux visions distinctes de la répartition de la valeur ajoutée, alors que jusqu'ici l'ensemble des partis de gouvernement semblaient d'accord sur la protection de la compétitivité des entreprises.

L'Europe, champ de bataille entre gauche et droite

L'autre champ de bataille, c'est l'Europe. Verts et SPD ont très largement « fédéralisé » leur discours en demandant des euro-obligations, une politique économique intégrée et un assouplissement de l'austérité. Pire même, Peer Steinbrück veut une procédure de fixation entre le taux directeur et le taux de dépôt de la BCE. Autrement dit, il veut réduire la marge de man?uvre de la banque centrale. Une position qui hérisse une droite attachée à la stricte indépendance de la BCE et qui se veut le garant de la politique de « rééquilibrage » en Europe et du maintien des politiques d'austérité, considéré comme un fondement à la croissance future, mais se présente aussi comme un rempart contre « l'union des transferts. » La France de François Hollande est, de ce fait, devenue un thème de campagne, la gauche louant la « résistance » du président français à Angela Merkel, la droite en faisant un repoussoir et un exemple de mauvaise gestion. Le projet du PS de dénoncer « l'intransigeance égoïste » de la chancelière a ainsi largement divisé la classe politique entre gauche et droite. Des responsables SPD et Verts ont ainsi jugé "juste et légitime" les critiques françaises, CDU et FDP l'ont dénoncé.

Une rupture temporaire ?

Pour autant, cette confrontation droite-gauche pourrait ne pas durer plus que l'espace d'une campagne. Le comportement parlementaire de la gauche allemande ne laisse en effet pas présager de véritable tournant en matière budgétaire et européen. La gauche se montre très soucieuse, au Bundestag, de ne pas laisser aller trop loin la solidarité européenne. La plupart des élus SPD ne sont guère favorables à l'union des transferts et ont, jusqu'ici, été une force d'appoint sans faille, à la politique menée par Angela Merkel. Du reste, plusieurs hauts responsables SPD ont défendu la chancelière contre le PS français. Il ne faut pas oublier que, à l'été 2012, c'est l'adoption par la gauche allemande du pacte budgétaire qui a contraint François Hollande à faire volte-face sur ce texte. Sur le terrain de la compétitivité, il y a fort à parier que les programmes agressifs de la gauche ne visent rien d'autre qu'à se distinguer de la CDU pour rallier une partie des indécis et des électeurs de Die Linke. Mais les hausses d'impôts prônées par la gauche ne devraient pas être plus réalisées outre-Rhin que les baisses d'impôts voulues en 2009 par la CDU et la FDP l'ont été au cours de la précédente législature.On a vu, par ailleurs, que le candidat SPD Peer Steinbruck a voulu se démarquer des projets fiscaux des Verts. Histoire de ne pas se couper d'un futur allié, la CDU.

La grande coalition reste l'option dominante

Preuve des limites de cette polarisation : Verts et SPD refuse toujours de s'allier à Die Linke, alors que l'alliance des trois partis de gauche pourrait être majoritaire sur le papier. La SPD préfère encore une coalition avec la CDU à une alliance avec l'héritier du parti unique de la RDA et les Verts pourraient être du même avis. Du reste, il existe encore de larges consensus : l'orthodoxie budgétaire en soi ne fait guère débat, le rééquilibrage des réformes Schröder via la généralisation du salaire minimum (sous des formes différentes : par branche pour la CDU, national pour la SPD) ou encore la participation à l'euro. Une fois l'élection du 22 septembre prochain passé, cette fracture politique allemande renaissante pourrait rapidement se résorber. D'autant qu'Angela Merkel excelle dans cet exercice de réconcilier les irréconciliables.

 

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