Sécurité nucléaire : une nécessaire révolution culturelle et institutionnelle

Par Jean-Marie Chevalier, professeur à l'université de Paris-Dauphine, et Jean-Claude Dérian, consultant dans l'énergie.
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L'accident de Fukushima a ramené sur le devant de la scène internationale la question de la sécurité nucléaire. Alors que le gouvernement allemand a choisi d'arrêter ses centrales les plus anciennes, et que la Chine a décidé un moratoire de trois mois sur tous ses nouveaux projets, la plupart des pays disposant d'un parc de centrales en service ont affirmé leur volonté politique de vérifier que leurs propres réacteurs présentent bien toutes les garanties de sécurité nécessaires.

Ce qui frappe dans ces déclarations, destinées à rassurer leurs opinions publiques, inquiètes des nouvelles du Japon, c'est que ces initiatives se sont effectuées en ordre parfaitement dispersé. La raison, c'est qu'il n'y a pas d'institution internationale en charge de la sécurité nucléaire et que ce sujet très sensible est de la seule responsabilité des États et de leurs experts respectifs. Après Fukushima, cette indépendance complète des politiques nationales en matière de sécurité nucléaire et ce cloisonnement des normes et décisions dans ce domaine n'apparaissent plus adaptés à la situation, et ceci pour plusieurs raisons.

La première est la nécessité absolue de transparence de l'information en cas d'accident nucléaire, ce qui impose une centralisation impartiale et objective, au plan international, de cette information. Celle-ci ne peut plus être laissée entre les seules mains des opérateurs de centrales, ni des agences nationales chargées de la sécurité nucléaire, qui sont souvent dépendantes du pouvoir politique. L'exemple de Tepco l'a montré : cette transparence est très difficile à obtenir de la part de la compagnie d'électricité gestionnaire de la crise et qui dispose du monopole complet de l'information sur la sûreté de ses propres centrales.

La seconde raison est le risque désormais inacceptable de surenchères "low cost" au détriment de la sécurité dans les appels d'offres internationaux sur le nucléaire. L'une des leçons qu'il convient de tirer de l'échec à Abu Dhabi, en janvier 2010, des grands constructeurs face au coréen Kepco, dont l'offre moins chère, mais peut-être moins sûre, a été préférée à celle d'Areva et de Westinghouse, est la nécessité urgente d'une supervision internationale capable de valider de façon comparative la qualité, sur le plan de la sécurité, des différentes offres en présence.

La troisième raison est la nécessité absolue de s'assurer que les pays candidats à l'acquisition de centrales se sont préalablement dotés d'autorités compétentes et indépendantes en matière de sécurité nucléaire. On peut se demander ce qui se serait passé si l'accident de Fukushima s'était produit, non pas au Japon, un pays possédant une longue expérience de la sécurité nucléaire, mais dans l'un des pays émergents qui ont, au cours des dernières années, exprimé leur intention de construire des centrales.

Tout ceci milite en faveur de la mise en place d'une autorité internationale qui aurait la responsabilité de coordonner et d'apporter une cohérence au travail des agences nationales chargées de la sécurité du nucléaire. Cette responsabilité pourrait être dévolue à l'AIEA, qui vient d'annoncer son intention d'organiser, d'ici l'été prochain, une conférence internationale sur la sécurité nucléaire. Son rôle devrait être de renforcer la sécurité nucléaire dans le monde en établissant des normes communes de sécurité et en apportant des réponses en cas d'accident ou d'urgence.

Il devrait être aussi de superviser, du point de vue de la sécurité, le déroulement des appels d'offres internationaux, en veillant tout particulièrement à ce que les exigences en matière de sécurité ne puissent en aucun cas être sacrifiées à la performance économique. Son rôle consisterait enfin à apporter aux pays candidats au développement nucléaire son appui pour qu'ils se dotent de l'infrastructure technique et administrative de sécurité appropriée préalablement à l'acquisition de leurs premières centrales.

Dans un secteur politiquement sensible, que la plupart des États considèrent comme étant du domaine exclusif de leur souveraineté, l'adoption de ces propositions représenterait une véritable révolution culturelle et institutionnelle, une révolution pourtant indispensable pour instaurer la nécessaire transparence de l'information sur la sécurité nucléaire et pour restaurer la confiance du grand public dans cette option énergétique, après le désastre de Fukushima.

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Commentaires 5
à écrit le 08/12/2011 à 14:51
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Le retour d'expérience de Tchernobyl s'est traduit par l'arrêt des réacteurs Français de cette filière graphite-gaz. Le retour d'expérience de Three Miles Island s'est traduit par des modifications de matériels et surtout des procédures de gestion de...

à écrit le 27/04/2011 à 7:38
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Il est clair qu'il y a matière à agir face à une catastrophe due à une autre tout aussi inattendue, et dont les conséquences ne sont prises en compte que de façon récente notamment à la suite de la catastrophe indonésienne de décembre 2004 : encore ...

à écrit le 26/04/2011 à 14:58
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L'AIEA n'est pas politique: tout juste pourrait-elle être un conseiller technique. L'ONU devrait pouvoir exiger que les autorités de sureté nationales soient réellement indépendantes. On peut rêver...

à écrit le 26/04/2011 à 14:22
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L?Occident ne réagit plus par la raison mais par l'émotion. Il serait bon de rappeler que l'accident de Fukushima est du non pas au tremblement de terre (qui n'a quasiment pas fait de victimes), mais à la plus grande vague jamais enregistrée, et qui,...

le 28/04/2011 à 21:36
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Les fissures des réacteurs sont liées au tremblement de terre d'un niveau supérieur à celui qui était envisagé à la construction, le tsunami a quant à lui empêché les pompes de refroidissement.

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