Forêts et intérêts des industriels : une équation délicate

80 % de la biodiversité terrestre, 1,6 million de personnes qui en dépendent pour leur subsistance, plus de 1.000 milliards de tonnes de carbone stockées... les forêts valaient bien que l'ONU leur dédie l'année 2011. D'autant plus que le commerce illégal de bois précieux, mais aussi des conflits d'usage liés à l'agriculture et aux agrocarburants entraînent une déforestation annuelle de 13 millions d'hectares, qui génère plus d'émissions de gaz à effet de serre que la totalité des transports dans le monde. Cette année internationale des forêts constitue l'occasion pour les entreprises les plus consommatrices des ressources forestières (ameublement, papier, emballages), qui s'estiment bonnes élèves, de communiquer sur le sujet. Mais aussi de remettre à plat leur politique en matière d'approvisionnement, à l'approche d'une directive européenne interdisant les importations de bois illégal, qui doit être transposée en droit national d'ici à 2013.
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Ikea promeut la certification du bois dans le monde entier

Le géant suédois a une longueur d'avance dans la gestion durable des forêts.

À terme, Ikea vise un approvisionnement en bois issu à 100 % de forêts gérées de manière responsable, et certifiées comme telles. Un objectif louable pour le géant suédois de l'ameublement à prix modéré, qui absorbe à lui seul 0,6 % de la consommation industrielle mondiale de bois. Soit quelque 13 millions de mètres cubes par an, venus essentiellement d'Europe (62 %) mais de plus en plus d'Asie (34 %). « Jusqu'ici, nous avons été prudents sur le sujet, mais l'année internationale des forêts nous donne l'occasion de nous exprimer », reconnaît Anders Hildeman, chargé au sein d'Ikea de la politique bois (pour le bois massif et les panneaux de particules). Le suédois n'a pas attendu la pression des ONG et les attentes des consommateurs pour se préoccuper de gestion durable des forêts. Ce qui est aujourd'hui aussi un enjeu d'image est depuis longtemps un impératif pour sécuriser ses gigantesques volumes de consommation. Et bientôt une obligation légale eu Europe, face à laquelle Anders Hildeman se félicite d'avoir une longueur d'avance sur la concurrence. En effet, cela fait déjà treize ans qu'Ikea a mis en place son propre système de contrôle.

Destiné à éviter l'entrée dans sa chaîne d'approvisionnement de bois indésirable et à promouvoir la gestion durable des forêts, il repose sur des exigences minimales acceptées par les fournisseurs et vérifiées par des audits menés tous les deux ans au moins. Membre fondateur du label FSC (Forest Stewardship Council) et membre du GFTN (Global Forest and Trade network) mis en place par le WWF, Ikea poursuit depuis 2002 avec l'ONG un partenariat sur des projets forestiers (élargi depuis à d'autres sujets). Bilan de ces efforts, 97 % de ses approvisionnements répondent à ses exigences minimales et la part du bois certifié FSC est passée de 8 % en 2008 à 24 % en 2010. Du moins pour le bois massif, « pour lequel les données sont les plus fiables », précise Anders Hildeman. Il est plus complexe de tracer l'origine des matériaux pour les panneaux de particules, qui représentent pourtant un volume de bois consommé supérieur...

Régions « à risque »

Dans le cadre du partenariat avec le WWF, Ikea vient de commencer à mesurer la part de bois certifié dans ses agglomérés (aujourd'hui de 10 %) qui lui permet de se fixer un objectif global de 35 % de bois certifié en 2015, toutes utilisations confondues (hors papier). C'est pourquoi il s'emploie aux côtés du WWF à développer des projets forestiers dans les régions identifiées « à risque » (la Chine et la Russie représentant les plus gros volumes), afin de lutter contre le bois illégal, mais aussi d'accompagner les forestiers pour les amener jusqu'à la certification. « Aujourd'hui, seul 7 % du bois est certifié FSC dans le monde », rappelle Anders Hildeman.

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Les ONG divergent sur les bienfaits des labels

WWF travaille avec Ikea sur la certification de forêts dans le monde entier mais Greenpeace prône la relocalisation.

Anita Flakenek et Louise Carlsson, du WWW Suède, se félicitent d'avoir obtenu d'Ikea, avec qui l'ONG travaille depuis 2002, qu'il mesure la part du bois certifié entrant dans la composition de ses panneaux de particules. L'entreprise se contentait jusqu'en 2010 des résultats sur le bois massif, plus simple à tracer. « Nous espérons inclure des objectifs englobant ces deux catégories de produits quand nous mettrons à jour notre accord de partenariat », avancent-elles. Globalement satisfaites du travail accompli avec Ikea, qui avance au rythme prévu, elles reconnaissent par ailleurs au groupe suédois un certain mérite. « Ikea finance et encourage une gestion durable des forêts, en visant la certification, dans des zones très exposées où il existe aujourd'hui très peu de bois certifié. « Le partenariat initié en 2002 sur les forêts a d'ailleurs été élargi depuis au coton et à toute une série de projets incitant les consommateurs à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

Greenpeace sceptique

Greenpeace, sans jeter la pierre à Ikea, et tout en reconnaissant que la certification a pu améliorer la situation des certaines zones, comme au Canada, est nettement plus prudent sur les bienfaits du label FSC (Forest Stewardship Council). « Dans le Bassin du Congo (principal massif forestier du continent africain, ndlr), les surfaces certifiées progressent à toute allure », déplore Jérôme Frignet, chargé de campagne Forêts chez Greenpeace. « Or il ne faut pas pousser un processus participatif à marche forcée, sinon cela se fait au détriment de la qualité ». En l'occurrence, ce que l'ONG met ici en cause, ce sont les standards nationaux qui doivent décliner les principes de base du label FSC en fonction des spécificités locales. Ils n'existent même pas pour cette région d'Afrique où les droits des populations ou les conditions de travail sont très loin de correspondre aux exigences du label. L'ONG demande d'ailleurs un moratoire sur toutes les nouvelles certifications.

« La vraie solution, c'est la relocalisation des approvisionnements, affirme Jérôme Frignet. Il faut raisonner produit par produit, mais il est très souvent possible de substituer des essences locales aux importations extra-européennes. « Cela est aussi bénéfique à la biodiversité, à l'emploi local, et bien sûr au climat puisqu'on évite les transports », ajoute-t-il.

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L'Europe veut contrer le commerce de bois illégal

La directive européenne votée en 2010 doit être transposée d'ici à 2013.

Selon l'Organisation des Nations unies (ONU), de 20 à 40 % de la production mondiale de bois est issue de coupes illégales, ce qui représente un flux de 350 à 650 millions de mètres cubes de bois illégal par an. Les pertes de recettes fiscales pour les pays tropicaux sont estimées à 100 milliards d'euros par la Banque mondiale.

L'Union européenne avait déjà adopté en 2003 un plan d'action FLEGT (Forest Law Enforcement Governance and Trade) destiné à lutter contre l'exploitation et le commerce de bois illégal, qui reposait notamment sur des accords de partenariats volontaires(APV) entre l'Europe et les pays producteurs de bois tropicaux. Mais ces derniers ne pouvaient éviter certains contournements, notamment de commerce dit « triangulaire », avec un bois exporté illégalement en Chine, par exemple (un exemple fréquent), pour y être transformé puis ré-exporté, légalement cette fois.

Des sanctions

En 2010, l'UE est allée plus loin en votant une directive (à transposer par les État membres d'ici 2013) imposant aux « metteurs sur le marché », notamment les importateurs de bois ou de produits dérivés comme la pâte à papier, les panneaux agglomérés, les planches ou encore les meubles, de s'assurer de la provenance de leurs approvisionnements. Les contrevenants devraient s'exposer à des sanctions calculées sur l'ampleur du dommage environnemental, la valeur du bois ou le manque à gagner fiscal. Elles pourraient aller jusqu'à la saisie du bois et des produits dérivés concernés, voire la suspension immédiate de l'autorisation d'exercer une activité commerciale. Cependant, elles restent encore à déterminer, et harmonisées au niveau européen, afin d'éviter des maillons faibles à l'importation. La question du financement des organismes de contrôle et la possibilité de vérifier le respect de la loi reste également posée.

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