Pollution en mer : Ecoslops valorise les résidus pétroliers

En plus d’être volumineux, les résidus hydrocarburés produits par le transport maritime sont également difficiles à valoriser en raison de leur composition variable. Un défi pourtant relevé par Michel Pingeot et ses associés, qui s’apprêtent à lancer, courant novembre, leur première unité industrielle de recyclage sur le port portugais de Sinès.

Cleantech Republic : Aujourd'hui Comment sont valorisés les slops (eaux de ballast, eaux de lavage et de fonds de cale...) ?

Michel Pingeot : Plutôt mal ! Bien que la réglementation - en particulier la Convention MARPOL - et les contrôles plus fréquents aient bien amorcé la collecte, la valorisation reste maigre. Elle consiste principalement à séparer l'eau des hydrocarbures pour obtenir un combustible bas de gamme, principalement destiné aux cimenteries et aciéries. Les compagnies maritimes doivent donc payer - environ 60 € la tonne - pour faire récupérer leurs résidus. Notre solution ouvre une nouvelle ère avec une synergie inédite. Comme nous produisons de meilleurs hydrocarbures, nous les vendons plus cher, et nous pouvons donc nous permettre de proposer la gratuité de la collecte, voire sa rémunération. Cela devrait mécaniquement doper la part du gisement valorisé, et in fine mieux protéger l'environnement tout en créant de la valeur et des emplois.

Pouvez-nous vous expliquer - simplement - le fonctionnement de votre système ?

Notre procédé comporte trois phases. Il vise tout d'abord à séparer l'eau des sédiments et des hydrocarbures (par décantation et centrifugation). La seconde étape vise à traiter l'eau. Enfin, la dernière et principale étape vise la distillation des hydrocarbures au sein de notre « colonne P2R » (pour Petroleum Residute Recycling). C'est dans cette mini-raffinerie que se trouve notre innovation technologique, notamment son design intérieur, qui fait l'objet d'un brevet. Concrètement, les slops sont portés à une température de 400°C dans une atmosphère vide, ce qui provoque leur vaporisation. On récupère alors quatre sortes de combustibles dont deux carburants marins conformes aux normes en vigueur et directement utilisables par les navires (IFO 380 et MDO). Ils représentent 80% du volume produit. Le reste est principalement composé de fuel lourd (XFO) sur lequel notre R&D travaille afin d'en améliorer la valorisation, et d'un fuel léger (3% du volume total) directement réutilisé sur place, pour chauffer la colonne. Le process est ainsi quasiment autonome en énergie et peut traiter en continu entre 100 et 300 tonnes d'hydrocarbure par jour selon la taille de l'unité.

Quelles sont les difficultés d'un tel projet ?

Elles étaient essentiellement techniques au début. Dans notre domaine, les maquettes fonctionnelles sont compliquées à opérer. Mais cette étape a été validée avant la création de la société. Nous sommes donc désormais sereins sur notre capacité à produire des carburants de qualité dans les quantités promises. Les enjeux actuels et futurs tiennent plus dans la gestion des implantations. Le potentiel d'installation étant seulement d'une ou deux usines par pays (ndlr : une pour la France), il faut choisir avec précautions les ports susceptibles d'accueillir Ecoslops. Cela nécessite d'étudier pour chaque site le gisement local, la qualité des infrastructures, la réglementation ou bien encore l'accueil reçu par notre projet auprès de partenaires industriels et financiers. Nous gérons donc des dossiers longs, et toujours à l'international.

C'est le cas de votre première usine au Portugal...

Voilà. Le port de Sinès (ndlr : 150 km au sud de Lisbonne) concentrait un besoin des débouchés pour les carburants, et une bonne connaissance de l'industrie pétrolière puisqu'une raffinerie était déjà présente à proximité. De plus, l'Union Européenne et un organisme portugais d'aide aux entreprises innovantes ont financé 40% des 15 millions d'euros du projet. Nous allons donc démarrer notre première colonne P2R en novembre (ndlr : les dispositifs de séparation et de traitement de l'eau sont déjà en service). Nous pourrons ainsi vendre entre 20 000 et 26 000 tonnes de carburants marins par an grâce à cette unité... (ndlr : au prix actuel des carburants marins, le retour sur investissement sera inférieur à deux ans).

Et de quoi financer les installations suivantes ?

Cinq projets sont déjà à l'étude, notamment à Singapour et Abidjan. Chaque usine sera portée par une filiale, et accueillera éventuellement un partenaire local, par exemple un collecteur de résidus déjà en place. Mais au delà des aspects financiers, c'est surtout la dimension écologique qui m'importe. J'ai fait toute ma carrière dans l'industrie pétrolière (ndlr : M.Pingeot était PDG d'Heurtey Petrochem jusqu'en 2009) mais je reste également un marin passionné. Plus Ecoslops se développera, plus nos océans seront propres.

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100 millions de tonnes de slops par an

Chacun des 20 000 bateaux de type tanker ou porte-container navigant dans le monde, produit quotidiennement de 1 à 3 m3 de résidus pétroliers issus de la purification des fuels marins avant leur introduction dans les moteurs (sludges). Soit 1 à 2% de la consommation de fioul du navire. La flotte mondiale produit ainsi près de 4 millions de tonnes par an. S'ajoutent 40 millions de tonnes annuelles d'eaux de fond de cale polluées (bilge water). Enfin, entre 3% et 5% des produits pétroliers transportés finissent dans les eaux de ballast ou partent avec le lavage des cuves, soit environ 54 millions de tonnes par an. Au total le gisement annuel de résidus pétroliers maritimes atteint près de 100 millions de tonnes.

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Ecoslops en bref...

  • Création : 2010 (après 5 ans de R&D chez Heurtey Petrochem)
  • Effectifs : 7 personnes au siège parisien ; 45 personnes au sein de l'unité de recyclage
  • Implantations : Sines (Portugal), 5 projets en cours (dont Singapour et Abidjan)
  • Chiffre d'affaire par unité : 12 millions d'euros (estimation Cleantech Republic)

Cleantech Republic

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