L’intelligence énergétique en panne d’incitation

Réduire la facture moyenne en conservant le niveau de confort actuel est impossible sans une réelle politique d'incitation en faveur des outils d'intelligence énergétique. Une Tribune de Julien Chaigneau, Directeur Général d’Effineo.

L'électricité française bon marché a toujours été un atout majeur pour la compétitivité des entreprises comme pour le pouvoir d'achat des ménages.  Pourtant, plus de 11 millions de personnes éprouvent des difficultés à se chauffer et s'éclairer selon une évaluation de l'observatoire national de la précarité énergétique (ONPE). Soit un cinquième de la population française. La hausse des prix de l'énergie annoncée pour cet automne - 5% pour l'électricité et 4% pour le gaz - risque d'aggraver encore cette situation. Le contexte géopolitique, en Ukraine notamment, et la réévaluation des coûts de production du parc nucléaire tendent à donner raison au conseil d'État qui juge insuffisantes les augmentations de tarifs décidées par l'État, faisant de cette tendance à la hausse une donnée de long terme. Réduire la facture moyenne en conservant le niveau de confort actuel est impossible sans une réelle politique d'incitation en faveur des outils d'intelligence énergétique.

La nécessaire responsabilisation des usagers

La rénovation des logements thermiquement peu efficaces est une étape indispensable de cette transformation. Une maison mal isolée peut en effet consommer jusqu'à sept fois plus qu'un logement « basse consommation ». Mais en dernier lieu ce sont bien les usages qui déterminent le montant réel de la facture. La performance énergétique est composée de deux choses, l'efficacité de l'installation mais aussi l'intelligence de l'utilisation. Mais pour faire preuve d'intelligence encore faut-il disposer de l'information suffisante. Le médiateur de l'énergie recommande l'installation d'un tableau de bord affichant en temps réel le niveau de consommation du logement, première étape décisive vers une responsabilisation individuelle. Le remplacement, prévu à l'horizon 2020, des 35 millions de compteurs électriques actuels par les compteurs communicants vont en ce sens en permettant d'évaluer plus précisément la consommation de chacun et, à terme, de l'afficher en  ligne. Au volant d'une voiture on a toujours sous les yeux la vitesse, les rapports, et maintenant la consommation de carburant. Il n'y a aucune raison d'être moins bien informé en ce qui concerne l'équipement le plus gourmand en énergie, le logement !

Mieux informer pour mieux consommer

Néanmoins un tel équipement ne peut à lui seul donner toutes les informations nécessaires à une meilleure gestion des ressources. Il faut être en mesure d'expliquer les données fournies, de les traiter en temps réel et de conseiller les usagers en conséquence. Dans le logement social, secteur le plus touché par les problématiques de précarité énergétique, beaucoup de bailleurs font déjà appel à de telles stratégies innovantes. La pédagogie dans ce domaine peut se révéler extrêmement efficace. Un locataire à qui l'on explique qu'en débranchant sa box internet en dehors des heures d'utilisation il gagnera 60 euros par an, ou encore que les appareils en veille représentent 20% de sa consommation, y verra tout de suite son intérêt (et celui de l'environnement !). Le traitement des données c'est aussi le moyen pour les usagers comme les propriétaires de contrôler au quotidien la consommation de leurs biens et d'être prévenu en cas de dysfonctionnement

Les solutions intelligentes boudées par les pouvoirs publics

Malgré tous leurs avantages, ces solutions sont peu mises en valeur par les pouvoirs publics. Elles sont associées à une législation particulièrement impopulaire et rares sont les mesures incitatives. Les réglementations thermiques, qui sont pourtant des mesures intéressantes au départ, sont vues comme des contraintes augmentant inutilement les coûts de construction. De la même façon le Certificat d'Économies d'Énergie part lui aussi d'une bonne idée mais ne permet à aucun moment aux usagers ou aux propriétaires d'en constater par eux-mêmes et au quotidien les bénéfices financiers et écologiques. On comprend que dans ces conditions les bailleurs ne se tournent pas d'eux-mêmes vers l'intelligence énergétique.

D'autant plus que l'investissement initial est important. Il va certainement baisser au fur et à mesure de la diffusion de ces pratiques mais pour l'instant il demande à être facilité. Trop peu d'investisseurs ont conscience de sa forte rentabilité. Pourtant, selon une étude de la fondation Rexel, pour 79% des particuliers et 81% des professionnels faisant appel à ces outils, c'est bien l'argument économique qui prévaut, la facture globale diminuant en moyenne de 15%. La chaîne de l'efficacité passe par la production, l'exploitation et les usages. En négligeant les deux derniers éléments dans les politiques publiques d'incitation on brise cette chaîne. On constate aujourd'hui que la dérégulation du marché est loin d'avoir été un moteur suffisant pour que se développent ces services connexes à la distribution. Il est donc temps de mettre fin à l'immobilisme en la matière.

Deux idées pour changer la donne

Deux types de mesures incitatives pourraient contribuer à doper le domaine de l'intelligence énergétique. En amont d'abord, il est nécessaire de sensibiliser les consommateurs de tous les âges à l'impact environnemental de leurs comportements. L'introduction dans le système éducatif d'ateliers pédagogiques sur ce thème permettrait par exemple d'éveiller les consciences. On peut imaginer des modules de formation à la sobriété énergétique sur le même modèle que les cours d'introduction à la sécurité routière. En aval ensuite, quand la volonté est là, il faut donner aux professionnels et aux particuliers les moyens d'investir. En étendant par exemple les différents dispositifs existants, l'éco-prêt à taux zéro, le prêt éco-énergie et le Crédit d'Impots Développement Durable (CIDD) aux activités donnant accès à l'information et à la pédagogie énergétique. La sensibilisation et l'incitation financière sont deux leviers complémentaires qui méritent d'être mieux exploités.

La prochaine version de la réglementation thermique, dite RT 2020, concernera les logements neufs comme anciens. Alors que le projet de loi sur la transition énergétique vient d'être largement adopté, la mise en conformité avec ces standards passera par des procédés d'intelligence énergétique. L'accompagnement dans cette transition est une condition nécessaire à sa réussite. L'énergie de demain se prépare dès aujourd'hui.

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Bio express de l'auteur

Passionné de technologies et de télécoms, Julien Chaigneau est Directeur Général d'Effineo. Cet opérateur d'efficacité Energétique pour le logement collectif appartient à la société Budget Telecom.

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Commentaire 1
à écrit le 13/11/2014 à 17:00
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A l'heure actuelle, il est impossible de vérifier si la pose d'isolant est bien faite, c'est-à-dire sans ponts thermiques, alors...

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