OPÉRA + Manon prend le large à Bastille

L'opéra culte du répertoire français XIXe, Manon, du très populaire Massenet, fait une entrée en fanfare à Bastille. La dernière apparition à Paris de la frivole héroïne remonte à 1984, dans les lieux mêmes où l'oeuvre avait été créée un siècle auparavant et dans le décor infiniment plus intimiste de la salle Favart. Par contraste, les tribulations de l'enchanteresse imaginée par l'abbé Prévost dans son roman non moins culte u XVIIIe siècle se trouvent fort au large sur l'immense plateau de Bastille. Par souci d'efficacité et d'économie, le metteur en scène belge, Gilbert Deflo, a circonscrit l'action dans un décor unique et monochrome, cylindre bleu nuit tournant, s'ouvrant et se refermant au gré des événements. Cette austérité monacale et la mise en scène des plus convenues sont heureusement égayées par les costumes chatoyants du XVIIIe siècle et deux scènes de foules très réussies, la promenade au Cours la Reine (l'actuel Palais-Royal), à l'époque lieu de toutes les perditions livré à la frénésie du carnaval, et la salle de jeu où Manon entraîne son amoureux transi, le chevalier Des Grieux, aristocrate falot, déclassé par cette liaison avec une cocotte de basse extraction. Pastiche de Rameau. Ce canevas romanesque, les librettistes Henri Meilhac et Philippe Gille l'ont transcrit dans une langue emphatique qui a perdu toute l'élégance et la légèreté de la prose de l'abbé Prévost. Massenet, pour sa part, a composé une musique qui nous semble aujourd'hui du dernier pompier, conforme aux canons esthétiques de la fin du XIXe siècle. Nostalgique de l'ancien régime et des fastes de l'opéra royal sans en avoir le brio, celui-ci s'offre même pour la scène du carnaval un pastiche de Rameau. Ce qui masque mal une partition par ailleurs pleine de lourdeurs dont le chef israélien Gary Bertini, qui dirige avec fermeté et beaucoup de scrupules l'orchestre de l'Opéra, ne nous épargne aucun détail. La bonne surprise vient de la soprano américaine Renée Fleming, grande mozartienne applaudie dans les Noces de Figaro, dont la voix et la gestuelle réussissent à insuffler grâce et émotion à une Manon tout en nuances, dramatique dans les scènes où tout vacille pour elle, souveraine dans celles où opèrent son charme et sa beauté. Par contraste, le ténor américain Richard Leech, qui lui donne la réplique et qui dans le rôle du chevalier Des Grieux fait ses débuts à l'Opéra de Paris, semble malgré d'incontestables qualités vocales un peu pataud. Le reste de la troupe, le baryton Jean-Luc Chaignaud (Lescaut, le cousin de Manon), le ténor Michel Sénéchal (Guillaume de Mortefontaine, le vieil amoureux éconduit de Manon) ou encore Laurent Naouri (le père de Des Grieux) entrent avec enthousiasme dans la ronde. Au final, le spectacle parvient à décoller même s'il reste manifestement sous-dimensionné par rapport à l'énorme potentiel de Bastille. Noël Tinazzi © Les 1er, 4, 7, 10 et 12 juillet à 19 h 30. Tél. : 01.44.73.13.00.
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