« Je hais tous les hommes »

Les temps sont gris et les humeurs moroses. Hasard ou rencontre ? L'année théâtrale s'est achevée dans le sauve qui peut des grèves et de trois mises en scène du Misanthrope de Molière. Au Lucernaire, à la Comédie française, au Vingtième Théâtre, trois façons de montrer comment vivre ses contradictions entre un amour fou et un ras-le-bol écoeuré de l'humanité. Le misanthrope est toujours des nôtres : aujourd'hui comme hier, on peut être Don Quichotte amoureux d'une étoile et pester, par exemple, contre la corruption... On peut encore aujourd'hui s'appeler Alceste et rêver de devenir Robinson sur une île vierge, à l'abri des essais nucléaires. Molière en a fait un rebelle éternel, dans un monde qui serait éternellement pourri. Quand il écrivit son Misanthrope, il était en pleine bourrasque : le Tartuffe venait d'être interdit et cette censure n'était pas seulement un camouflet, mais signifiait en prime la ruine de sa compagnie. Il fallait donc très vite mettre une nouvelle pièce au répertoire. La comédie de « l'atrabilaire amoureux » fut commencée en 1664, abandonnée en cours de route pour donner naissance à Don Juan, écrit en quelques semaines, puis mûrie, et finalement créée le 4 juin 1666. Alceste est-il, comme l'écrivait Antoine Vitez, un avatar de Tartuffe, tout comme Don Juan ? Molière en tout cas utilisa les trois personnages pour dénoncer le même vice : l'hypocrisie. Envers la cour, la religion, Dieu et la société... Envers soi-même. Alceste est celui qui veut clamer la vérité, toutes les vérités. Quand Molière créa le rôle, il avait quarante-quatre ans, mais très vite la maladie l'obligea à quitter la scène et ce fut Baron, un jeune comédien de dix-neuf ans, qui reprit le personnage. Depuis, on ne cesse de s'interroger sur l'âge du bonhomme. Galopin rageur comme Thibault de Montalembert à la Comédie française ou adulte irascible à la façon de Michel Papineschi au Lucernaire ? Chacun prêche pour sa chapelle ou son acteur fétiche : il y en eut de fameux, Jean-Louis Barrault, piaffant, Pierre Dux, amer, ou plus récemment Didier Sandre ou Gérard Desarthe. En fuite ou en quête de refuge, Alceste est toujours sur le départ. Et Célimène ? Est-elle, comme la décrivait le même Vitez, « à la fois un monstre dévorant et une petite fille au cerceau » ? Une allumeuse comme la trop coquette Armande Béjart ? Une Lolita, chipie fleur bleue à peine sortie de l'adolescence comme la montre Christian Le Guillochet ? Ou une péronnelle rusée, sans grand esprit et sans grand coeur telle qu'elle apparaît au Français sous les traits de Catherine Sauval ? Tous les partis pris sont plausibles. A l'exception sans doute e celui choisi par le Théâtre des loges, jeune troupe hébergée par le Vingtième Théâtre, qui fait d'Alceste un roquet, d'Oronte un mamamouchi, d'Arsinoé un épouvantail et de Célimène une idiote qui chantonne en anglais (sic) «The little cat is dead ! ». On fuit avant le final... Alors que salle Richelieu, on reste vissé à son fauteuil, deux heures cinquan durant pour suivre la très sage et très lente mise en scène du sociétaire Simon Eine. C'est la reprise d'une production de 1989 où lui-même jouait Alceste avec la même Catherine Sauval, primesautière, joueuse mais sans éclat, dans le rôle de Célimène. Cette fois, c'est un jeune coq capricieux qui proclame que l'ami du genre humain n'est pas du tout son fait : « Mon aversion est générale et je hais tous les hommes. » Ainsi Philinte (François Beaulieu) ne semble plus être l'ami fidèle, mais un tonton de province venu faire la morale à l'enfant gâté récalcitrant. Ainsi Arsinoé, encore belle et désirable (Martine Chevallier, superbe d'ambiguïté) s'est éprise d'un tendron au masculin. Le spectacle est honnête, il ne donnera pas d'idée fausse aux écoliers à la découverte des classiques et ne leur apportera pas non plus d'idée nouvelle. Caroline Alexander Comédie française, en alternance jusqu'au mois de juin. Tél. : 40.15.00.15, Vingtième Théâtre, du mardi au samedi à 20 h 30, dimanche à 15 h 30. Jusqu'au 28 janvier. Tél. 43.66.01.13. Théâtre du Lucernaire, du lundi au samedi à 21 h 30. Tél. : 45.44.57.34.
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