La bataille des classiques et des modernes du luxe

La « révolution » du luxe semble en marche. Aujourd'hui, les grandes marques françaises, qui se sont longtemps considérées comme propriétaires exclusives du concept, doivent partager avec de nouveaux venus, américains ou japonais. Désormais, les marques qui incarnent le luxe se retrouvent donc partagées en deux camps, qui s'ignorent ou se méprisent ouvertement. Une récente étude sur le luxe réalisée par l'agence J. Walter Thompson identifie ces deux groupes : d'un côté, les « classiques » portés par l'histoire et bien souvent la haute couture (Chanel, Christian Dior, Guerlain, Hermès, Yves Saint Laurent, Louis Vuitton) ; de l'autre, les « modernes », dont l'antériorité n'affiche qu'une trentaine d'années (Donna Karan, Calvin Klein, Ralph Lauren, Versace...). Vu de France, les premiers s'affirment comme les seuls à pouvoir incarner véritablement le luxe. Mais, vu de New York, Armani ou Versace ne semblent pas différents de Saint Laurent ou Dior, Valentino n'est pas éloigné de Chanel, Calvin Klein est beaucoup plus connu que Givenchy. Vu de Tokyo, on ne voit guère de différence entre Gucci ou Chanel, Hermès ou Ferragamo. Dans une « industrie » où les trois quarts de la production sont vendus à l'international, cette confusion d'image peut rapidement se révéler dramatique. La dichotomie entre les modernes et les anciens recouvre d'ailleurs deux styles d'entreprise et de communication, comme l'explique Sylvie Prieur, directrice du développement de J. Walter Thompson (JWT) : « Le luxe traditionnel s'organise en pyramide au sommet de laquelle se place la griffe de haute couture, déclinée en s'élargissant progressivement autour de la ligne haut de gamme, de la marque diffusion et enfin des accessoires. » Si l'on prend l'exemple d'Yves Saint Laurent, après la haute couture viennent les lignes Rive Gauche, Saint Laurent Variation et les différents accessoires. A chaque niveau de la pyramide correspondent des styles de diffusion différents. A l'inverse, ceux que l'on pourrait classifier de nouveaux créateurs s'organisent en « galaxie ». Comme le souligne Sylvie Prieur, « prêt-à-porter, parfum, ligne dérivée, ligne de maison, accessoires... tout est au même niveau, sans que la griffe n'ait une supériorité sur le reste des produits. Il ne s'agipas de dilution mais de diffusion ». Dont l'avantage par rapport à ses concurrents est de pouvoir créer une nouvelle ligne de produits en l'ajoutant dans la « galaxie » alors qu'il est beaucoup plus difficile d'introduire un étage dans la « pyramide ». Jusqu'à présent, anciens et modernes se sont développés de façon indépendante sur leur propre terrain. Mais l'avenir pourrait bousculer l'ordre établi. « L'analyse des valeurs associées à chacune des deux organisations révèle une profonde différence d'approche », explique la responsable de JWT en développant ses propos : « Les "classiques" s'inscrivent dans une culture catholique et monarchique, s'approchent de l'art classique et baroque, recherchent la perfection. A l'inverse, les designers modernes véhiculent une culture protestante et démocratique, s'inspirent de l'art contemporain et ont pour objectif l'harmonie. D'un côté, nous avons donc les valeurs de l'écrit, le respect de la loi, le militantisme et la matérialité tandis qu'en face on observe la culture de l'image, le rejet de la norme, la tolérance et la préférence pour l'immatériel. Or, le sens de l'Histoire montre que l'on se trouve, et de plus en plus, dans la seconde option. Le mouvement plaide en faveur de la structure en galaxie des modernes. » Le phénomène est accentué par la communication, le luxe pouvant compter sur les médias (défilés de mode à la télévision, articles de presse, photos, voire Internet) en sus de la publicité traditionnelle. Cela peut s'avérer dangereux pour la haute couture, insiste Sylvie Prieur : « Avec cette extrême médiatisation, la griffe dispose d'un maximum de visibilité pour le public. Mais en revanche, elle n'exerce qu'un contrôle limité sur cette communication qui lui échappe. A l'inverse, une marque, dont la visibilité est limitée au seul budget publicitaire dont elle dispose, s'offre une moindre valeur médiatique mais la contrôle totalement. » A trop s'exposer, les marques traditionnelles du luxe se démystifient alors que la rareté est valorisante. « On encourage le spectacle, alors qu'il faudrait l'inverse pour continuer de faire rêver sur la griffe », conclut Sylvie Prieur.
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