PEINTURE + Madrid et Bilbao veulent s'accaparer «Guernica»

Symbole par excellence de l'atrocité de la guerre civile, le tableau de Picasso, Guernica, semble décidément condamné à la controverse. Seize ans après son retour au pays à l'issue d'un long exil au Moma de New York, on le croyait voué à un paisible repos au musée Reina Sofia de Madrid. La France l'avait récemment demandé en vain pour une exposition temporaire. Mais cette fois, ce sont les victimes du bombardement allemand peints sur la toile, les Basques, qui ont réclamé son transfert provisoire à Bilbao pour l'inauguration dans cette ville, le 3 octobre, du musée Guggenheim. Ils se sont vu eux aussi opposer une fin de non-recevoir, qui risque d'être irrévocable : question purement technique pour les Madrilènes, mais aux implications bien plus profondes pour ceux dont le drame de Guernica fait partie intégrante du douloureux patrimoine historique. « Problème technique ». La controverse avait commencé à la mi-mai, lorsque la direction du musée Reina Sofia, se basant sur un rapport détaillé de 187 pages élaboré durant trois mois, avait refusé de céder la toile à la capitale de Biscaye. Mais elle vient de rebondir avec le vote, la semaine dernière, par les commissions de la culture du Congrès et du Sénat, d'une résolution recomman- dant le transfert sans spécifier de date, « lorsque les conditions de conservation pourront être techniquement garanties ». Ce qui n'a d'ailleurs pas empêché le gouvernement de réaffirmer son opposition au voyage. « Il s'agit d'un problème technique et non politique », a tranché le ministre de l'Education et de la Culture, Esperanza Aguirre. Le petit monde culturel madrilène s'est mobilisé pour s'opposer au transfert à Bilbao, tandis que la direction du musée Reina Sofia prenait l'initiative douteuse d'ouvrir un registre de signatures avec le même objectif. Chaque camp a ses experts et ses rapports. Celui du musée Reina Sofia est catégorique : le Guernica présente des fissures et des ruptures de fibres qui rendent impossible tout nouveau déplacement. En outre, le texte rappelle que la toile a été soumise en 1957, alors qu'elle se trouvait encore à New York, à une restauration à base de cire qui s'est infiltrée dans la peinture, empêchant toute nouvelle réfection. Les experts de la Fondation Guggenheim de leur côté, assurent qu'un transfert de la toile par camion climatisé est possible. Ils doutent que les difficultés techniques soient réellement rédhibitoires pour un déplacement de 400 kilomètres, alors qu'elles n'avaient nullement empêché en 1981 que le tableau - qui a effectué 35 voyages durant son existence agitée - traverse l'Atlantique alors qu'il était déjà en mauvais état. Nationalismes. De là à considérer qu'il y a mauvaise volonté de la part du gouvernement et plus encore de la direction du musée Reina Sofia, il n'y a qu'un pas que plus d'un nationaliste basque n'a pas hésité à franchir. « Les bombes pour Guernica et l'art pour Madrid », affirme-t-on à Bilbao. La controverse à propos de Guernica ne constitue pas un fait isolé dans une Espagne où les nationalismes ont de nouveau acquis droit de cité mais où le souvenir des ravages centralistes madrilènes entremêlent culture et politique. Malgré les requêtes insistantes des habitants de la ville, la Dame d'Elche, célébrissime buste grec trouvé dans la région d'Alicante, ne quittera pas son musée de Madrid pour revenir provisoirement dans ses terres à l'occasion du centenaire de sa découverte, le 3 août. Les problèmes techniques, là aussi, interdisent, dit-on, le voyage. Il y a quelques mois, le gouvernement catalan avait suscité un tollé à Madrid en réclamant le retour à Barcelone de ses archives de l'époque républicaine que Franco avait transférées à Salamanque. Dans une Espagne pourtant décentralisée administrativement, les vieux réflexes ont décidément la vie dure, même dans les milieux culturels. Thierry Maliniak, à Madrid
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