La retraite, nouvelle inégalité Hugues Wilhelm Fédération universitaire et polytechnique, Lille.

Par latribune.fr  |   |  871  mots
Les évolutions démographiques vont, à terme, déséquilibrer le financement des retraites. Sans modification des cotisations, des prestations versées ou reprise démographique durable, le système est condamné à la faillite. Le facteur démographique. La crise démographique explique celle des retraites. Depuis 1974, le renouvellement des générations n'est plus assuré ; il y aura de moins en moins de cotisants pour financer plus de retraites. Au baby-boom a succédé un baby-krach ; du fait de la baisse de la fécondité, deux millions et demi de bébés ne sont pas nés ces vingt dernières années. Le rapport entre la population de soixante ans et plus (qui peut bénéficier des retraites), et celle des vingt-cinquante-neuf ans (qui peut cotiser), est actuellement de 36 % ; il sera de 38 % à la fin du siècle, avant d'atteindre 50 % en 2015. Pour maintenir à cette dernière date tous les avantages acquis, il faudrait augmenter de plus de moitié les cotisations. Une réforme inachevée. En 1991, le Livre blanc sur les retraites, commandé par le gouvernement de Michel Rocard, avait montré que les régimes ne pourraient, à terme, plus financer les droits acquis. En 1993, le gouvernement d'Edouard Balladur a mis en oeuvre les recommandations du Livre blanc. Les règles de calcul des retraites des salariés relevant du régime général de l Sécurité sociale ont été modifiées : la durée de cotisation a été allongée et la méthode de détermination du montant de la retraite a été revue. Ces nouvelles règles diminuent de 83 milliards le total des pensions qui seront versées entre 1993 et 2010. La réforme était suffisamment complexe pour que chaque personne concernée ne puisse pas calculer le montant de la « perte de retraite » à laquelle elle correspond. La discussion a été aussi courte qu'obscure. La réforme a été acceptée, à la fois parce qu'elle était jugée nécessaire, pour éviter la faillite du système, et parce qu'elle était assez imprécise pour que chacun espère pouvoir en limiter le prix à supporter. La réforme de 1993 a concerné 73 % des actifs. Ainsi, près du quart des Français, les fonctionnaires et ceux bénéficiant de régimes très particuliers, n'étaient pas concernés. Il était donc légitime de s'interroger sur ces autres régimes de retraite. En les maintenant, n'introduit-on pas des inéquités entre les personnes selon leur régime de retraite ? Des déséquilibres coûteux. Certains régimes de retraite sont profondément déséquilibrés. Celui des cheminots est financé plus par l'Etat (13,6 milliards), et par des transferts d'autres régimes (4,7 milliards), que par les salariés ou la SNCF ; ainsi plus des deux tiers de la pension moyenne de 97.300 francs par an des cheminots résulte de transferts. Le régime des exploitants agricoles est encore plus déséquilibré, avec des cotisations ne couvrant que 12 % du montant des retraites versées. En 1993, ce régime bénéficiait de 26,6 milliards de transferts et de subventions ; malgré cela, la pension moyenne n'est que de 23.300 F par an. Le régime des cheminots coûte à lui seul à l'Etat plus que le RMI, et celui des agriculteurs la moitié du RMI. A terme, d'autres régimes spéciaux connaîtront aussi d'importants déséquilibres. Le rapport Briet, publié en octobre 1995, reconnaît que certains régimes spéciaux « rencontrent d'ores et déjà des difficultés importantes qui s'aggraveront rapidement ». C'est notamment le cas pour celui des fonctionnaires de l'Etat, et pour celui des agents des collectivités locales. Comme les différents régimes spéciaux concernent près du quart des Français, on ne peut indéfiniment reporter les décisions. Des débats incontournables. A défaut d'un retour à une croissance plus forte et d'une reprise démographique, la question des retraites se pose dans tous les grands pays développés. On ne peut en même temps tout financer, il faudra faire des choix. Peut-on encore augmenter les prélèvements pour financer les retraites ? Celles-ci peuvent-elles encore progresser en valeur réelle ? Doivent-elles suivre, totalement ou partiellement l'évolution des salaires réels ? Telles sont les questions qu'on doit poser au nom de l'équité et de l'efficacité. Tôt ou tard, il faudra bien poser la question des disparités de niveau de retraite entre les Français, sinon, on introduira des inégalités qui ne seront pas toujours acceptables. On aura, par manque de décision, une France à « trois vitesses », avec des exclus et des assistés, des salariés et des indépendants, et enfin, les personnes relevant de régimes spécifiques et les fonctionnaires. Pour ces derniers, sur l'ensemble de la vie, la garantie de l'emploi et le niveau de retraite constitueront un privilège exorbitant à la charge de la société civile. RELANCE. Tôt ou tard, il faudra bien poser la question des disparités de niveau de retraite entre les Français, sinon, on introduira des inégalités qui ne seront pas toujours acceptables. On aura, par manque de décision, une France à « trois vitesses ».