« Une union monétaire n'est pas viable avec des pays aux économies trop hétérogènes »

« La Tribune ». - Le traité de Maastricht met l'accent sur quatre critères de convergence pour garantir la formation d'une union monétaire stable. Est-ce la bonne méthode ? Jacques Mazier. - La convergence nominale est nécessaire. Le problème est plutôt de savoir si elle est suffisante et s'il n'aurait pas fallu prendre davantage en compte les déséquilibres structurels existant en Europe. L'Italie et l'Espagne voient leur taux d'inflation se rapprocher de la norme européenne au prix d'un coût social élevé. Les pressions inflationnistes des secteurs les moins performants de leur économie sont étouffées mais le chômage se développe. En fait, on se contente de masquer les sources de déséquilibre. Une union monétaire n'est pas viable avec des pays aux économies trop hétérogènes. Par ailleurs les critères de finances publiques ont enfermé l'Europe dans le cercle vicieux de la croissance lente. Dès 1991, des simulations du Cepii (Centre d'études prospectives et d'information internationales), de l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), du FMI (Fonds monétaire international) montraient que la conduite simultanée de politiques budgétaires restrictives dans tous les pays précipitait l'Europe dans la récession. La conscience de ces difficultés a conduit à privilégier au départ le schéma d'une petite UEM (Union économique et monétaire), le « noyau dur » France, Allemagne, Benelux, Pays-Bas et Autriche. Avec ces pays, en union monétaire de fait depuis une décennie, les déséquilibres apparaissent maîtrisables. Mais dans ce cas l'Europe se retrouve coupée en deux, avec des pays exclus poussés à conduire des stratégies autonomes. Quel recul pour la construction politique ! Il est donc nécessaire d'intégrer les grands Etats sud-européens mais alors il faut modifier la recette économique, sauf à laisser le continent s'enfoncer dans la crise. Quels sont les risques d'enlisement de la future union ? - Les mécanismes de rééquilibrage feront défaut. L'utilisation des taux de change n'est plus possible en union monétaire. Comme l'illustre le cas américain, les variables d'ajustement qui jouent traditionnellement dans ce type de configurations sont la mobilité de la main-d'oeuvre, le taux de salaire, dont le rôle est d'ailleurs secondaire, et les transferts budgétaires fédéraux. Or ces mécanismes n'existent pas ou son embryonnaires en Europe. Des chocs structurels différents d'un pays à l'autre - par exemple la restructuration d'un secteur industriel - se solderont donc par un creusement des inégalités de revenus entre régions européennes et par une aggravation des poches de chômage. L'existence d'une banque centrale européenne indépendante rend par ailleurs aigu le problème de la coordination entre une politique monétaire unique et des politiques budgétaires multiples. Résultat, la coordination se règle par le bas, avec un pacte de stabilité qui interdit les dérapages budgétaires au-delà de 3 %. L'habillage proposé par Jospin à Amsterdam changera peu à l'affaire puisque les Allemands n'acceptent aucun soutien budgétaire en matière d'emploi et de politique sociale. La marge de manoeuvre des gouvernements sera donc très limitée. Seul un fédéralisme budgétaire, auquel pensent tous ceux qui réclament un contrepoids politique à la banque centrale, pourrait rééquilibrer le système. Rationnelle économiquement, cette perspectiveest toutefois irréaliste politiquement. Alors que, depuis vingt-cinq ans, l'Europe est incapable de faire de la relance budgétaire coordonnée en cas de crise, imagine-t-on demain la Bavière financer l'Andalousie quand l'Italie du Nord ne veut plus financer le Sud, ou bien un ministre des Finances se départir d'une partie de ses recettes fiscales nationales au profit des autorités communautaires ! En outre, sur quelle légitimité démocratique pourrait s'appuyer le pouvoir supranational ainsi mis en place ? Pouvait-on envisager un autre scénario pour construire l'Europe monétaire ? - Une construction intermédiaire entre la monnaie unique et le système monétaire européen actuel est envisageable. Il s'agirait d'un SME rénové avec des parités fixes mais ajustables et des mécanismes permettant de maîtriser la circulation des capitaux, comme une taxe sur les transferts financiers ou des réserves obligatoires sur les positions de change des intervenants. L'asymétrie actuelle d'un SME basé sur le deutsche mark serait évitée par la création d'une monnaie unique à usage externe. Cet euro circulerait comme monnaie commune de facturation des échanges intra-européens mais les devises nationales seraient toujours utilisées en interne. La composition de l'euro externe - un panier des différentes monnaies nationales - serait susceptible d'être modifiée en fonction des évolutions économiques des pays membres du système. La souplesse due aux réajustements de parités intra-européennes serait conservée. L'adaptation structurelle des économies pourrait se réaliser avant le passage à une union monétaire totale. Propos recueillis par Catherine Véglio
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