Les cadres territoriaux sont-ils trop payés ?

Les cadres du Conseil général des Bouches-du-Rhône se seraient bien passés de cette « prime » de fin d'année. Celle-là même qu'ils ont été contraints de (re)verser à Lucien Weygand, leur trop généreux président, à la demande de la chambre régionale des comptes, afin que celui-ci ne soit pas déclaré comptable de fait et menacé d'inéligibilité. De 5.000 francs à quelque 300.000 francs : le montant des primes ainsi illégalement perçues, via une association écran, laisse aujourd'hui un goût amer parmi le personnel du département (lire Voir Evenementpage 15). Mais les rives méditerranéennes ne sont pas seules à prendre quelque liberté avec la loi dès lors qu'il s'agit de récompenser les mérites des cadres territoriaux. A Nantes, Olivier Guichard, président de la région Pays de la Loire, vient de se voir également sermonner par la chambre régionale des comptes à propos des rémunérations et indemnités versées aux principaux cadres, contractuels, de la région. Les Bouches-du-Rhône et les Pays de la Loire ne sont pas des cas isolés. De Strasbourg à la Vendée, de la région Centre à l'Ille-et-Vilaine, la très grande majorité des collectivités territoriales voient leur attention attirée par les chambres régionales des comptes sur les quelques (trop grandes) libertés prises à l'égard des textes législatifs et réglementaires régissant le mode de rémunération des cadres de la fonction publique territoriale. Qu'un cadre du département des Bouches-du-Rhône soit invité à reverser le montant de ses primes d'un montant de plusieurs centaines de milliers de francs : l'information est suffisamment spectaculaire pour jeter le trouble parmi les membres de la fonction publique territoriale et engendrer quelque suspicion à l'égard de la rémunération des hauts fonctionnaires des collectivités. Qu'une chambre régionale des comptes révèle que tels directeurs gagnent plus de 40.000 francs par mois et bénéficient d'un logement, d'une voiture de fonction, d'une prime annuelle de 35.000 francs... voilà qui peut conduire à poser crûment la question : les cadres de la fonction publique territoriale sont-ils trop payés ? La concurrence du privé. Posée ainsi de manière provocatrice, la question de la rémunération des cadres « A » de la fonction publique territoriale ouvre la voie au(x) débat(s) né(s) de la mise en oeuvre des lois de décentralisation. Les observateurs s'accordent à reconnaître que de toutes les questions nées de cette mise en oeuvre, celle touchant à la rémunération des nouveaux fonctionnaires de la fonction publique territoriale n'est s la moindre. A chaque collectivité - grande ville, département ou région - sa spécificité. Et, comme le souligne Jean-Claude Charrier, responsable du département collectivités locales chez Coopers & Lybrand, « entre les anciens fonctionnaires montés à l'ancienneté, et les nouveaux cadres issus du privé ou hauts fonctionnaires transfuges de l'Etat, ce sont deux mondes très différents qui cohabitent difficilement ». Trop payés, les cadres territoriaux ? « Il n'est pas sérieux de répondre par l'affirmative », observe Jean-Paul Huchon, ancien directeur de cabinet de Michel Rocard, aujourd'hui vice-président et associé au cabinet Progress et... maire de Conflans-Sainte-Honorine. « On ne peut répondre oui quand on voit les responsabilités de ces cadres, leur disponibilité permanente, les risques qu'ils encourent, les budgets qu'ils ont à gérer... La vérité est que, comparée aux meilleurs cadres du privé, leur rémunération est de moitié inférieure en province, et de trois fois en moyenne en région parisienne ! » « Salaire de base plus 20 % ». Les collectivités territoriales s'efforcent pourtant, comme le reconnaît ce secrétaire général de grande ville, de « tordre la loi dans tous les sens » pour en tirer le maximum au profit de la rémunération des cadres territoriaux. Pour autant, souligne Jean-Paul Huchon, « avantages en nature, treizième mois et primes de responsabilité ou d'informatique comprises, les cadres territoriaux n'ont jamais que leur salaire de base plus 20 % ». Les chambres régionales des comptes, elles, bien conscientes de cet exercice auquel se livre la quasi-totalité des collectivités pour recruter des collaborateurs ayant le niveau de qualification et d'expertise indispensable aux nouveaux profils des postes issus des transferts de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales, rappellent constamment le droit. Notamment que si les dispositions de la loi du 28 novembre 1990 et du décret du 6 septembre 1991, sur le régime indemnitaire des agents des collectivités locales, ont abrogé les textes antérieurs, elles n'ont pas supprimé les avantages acquis par le personnel, au sens de l'article 111 de la loi du 26 janvier 1984 portant statut de la fonction territoriale. Pour autant, le total de ces avantages cumulés avec les dispositions du nouveau régime indemnitaire ne peut excéder les limites prévues par le décret du 6 septembre 1991. En clair, les agents de la fonction publique territoriale ne peuvent bénéficier d'indemnités supérieures à celles des agents de l'Etat, à fonctions équivalentes (Arrêt du Conseil d'Etat du 28 novembre 1992). Dispositif législatif inadapté ? C'est bien là que le bât blesse. « Ce problème de la fonction publique territoriale, explique Jean-Claude Charrier, est aussi celui de l'inadéquation du dispositif législatif et réglementaire aux réalités quotidiennes. Toutes les déviations observées dans les collectivités, on les retrouve tout autant dans la fonction publique d'Etat ! » Nul n'ignore en effet, et surtout pas Olivier Guichard, ancien ministre, l'opacité - véritable secret d'Etat - dans laquelle se réfugient nombre de rémunérations liées à la fonction publique d'Etat. Difficile, dès lors, de comparer en toute sincérité... Reste que plus de dix ans après les lois de décentralisation, la fonction publique territoriale n'a toujours pas résolu le problème posé par sa rémunération. Les parlementaires, qui sont aussi élus locaux, devraient trouver là matière à réflexion... Henri Loizeau Suite du dossier pages 14-15
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