Monnaie commune : le débat n'est pas clos

La construction européenne a souvent progressé sous l'impulsion de projets audacieux. Le projet d'union monétaire s'inscrit dans cette tradition. Mais, cette fois, l'audace n'est-elle pas démesurée ? Ne risque-t-elle pas d'être « contre-productive » en imposant à la fois une grave discrimination entre les pays, selon qu'ils pourront ou non adhérer à l'euro, et des contraintes de convergence qui obèrent la croissance des économies nationales ? Pour tenter de surmonter le dilemme qui se dessine ainsi, nous proposons une piste de réflexion visant à mieux exploiter les dispositions du projet. Le problème posé par le respect de parités monétaires prédéterminées ne se pose pas seulement dans les relations internationales où différentes monnaies (les devises) sont en présence ; il se pose aussi dans les économies nationales. Les banques commerciales créent en effet des actifs monétaires qui doivent être convertis les uns en les autres en fonction des opérations du public. Il est donc concevable que des actifs constitués auprès de différentes banques s'apprécient ou se déprécient les uns par rapport aux autres. Si cela ne se produit pas, c'est parce que la parité entre les actifs est garantie par un système de compensation et de règlements interbancaires organisé en chaque pays autour de sa banque centrale et de sa monnaie (la monnaie centrale). De ce point de vue, l'institution d'une monnaie unique en Europe reviendra à appliquer à l'échelle de l'Union l'organisation des paiements intérieurs aux économies nationales. Ainsi un nouveau système de paiements interbancaires, dont la Banque centrale européenne sera le pivot, viendra se greffer sur les systèmes nationaux. L'intérêt de l'opération est évident : les actifs monétaires émis par les banques commerciales dans l'ensemble des pays concernés seront définitivement mis à l'abri des effets déséquilibrants des flux commerciaux et financiers entre ces pays. Mais l'opération présente, comme le confirment (mais en le sous-estimant) les critères dits de Maastricht, l'inconvénient de supposer résolus de nombreux problèmes économiques, sociaux et politiques ; il s'ensuit que le projet ne pourra concerner dans un avenir « prévisible » qu'un nombre restreint de pays. Or il est possible de concevoir une application partielle de l'organisation prévue. Sur chaque pays sont définis des paiements intérieurs et des paiements extérieurs. Le système de compensation et de paiements interbancaires européen pourrait être appliqué aux seuls paiements extérieurs des pays de l'Union. La monnaie de la Banque centrale européenne, l'euro, interviendrait dans les paiements entre les pays de l'Union, leurs paiements intérieurs continuant de relever des systèmes nationaux. L'intérêt de cette disposition serait de garantir la convertibilité des actifs définis dans les différentes monnaies en euros et entre eux, selon des parités fixes prédéterminées et révisables, les monnaies nationales étant maintenues. Bien entendu, monnaie des paiements entre les pays européens, l'euro serait également la monnaie de leurs paiements à destination des pays tiers : il constituerait, comme le prévoit le projet d'union, la monnaie de l'Europe. La solution proposée serait de surcroît compatible avec l'adoption de l'euro comme monnaie unique par un groupe restreint de pays. Simplement, dans ce cas, la Banque centrale européenne serait impliquée dans deux systèmes de compensation et de paiements interbancaires, l'un substituant l'euro aux monnaies nationales, l'autre s'appliquant aux seuls paiements extérieurs des pays. Cette logique du perfectionnement au projet européen est incontestablement celle de la monnaie commune, monnaie internationale complémentaire des monnaies nationales, destinée aux paiements extérieurs des pays. Cette logique a été écartée au profit de la monnaie unique pour plusieurs raisons. En particulier, elle est habituellement associée à l'organisation de l'Europe en une zone de libre-échange plutôt qu'à une intégration économique et monétaire poussée. En proposant de tirer parti des dispositions institutionnelles du projet d'union monétaire, nous écartons ces principales objections. Tout d'abord, il ne s'agit pas de revenir à un modèle privilégiant l'organisation d'une zone de libre-échange en Europe. Ensuite, on met à profit des engagements qui ont été en tout état de cause pris par les pays européens et qui vont bien au-delà des dispositions requises pour la gestion d'une monnaie commune. Enfin, les propositions en vue de créer une monnaie internationale (concernant par exemple une extension du rôle des DTS) lui donnent habituellement un rôle d'instrument de réserve desti- né, en particulier, à financer les interventions des banques centrales sur les marchés des changes. Le prin- cipe est différent ici. Seul l'euro serait présent sur le marché des changes face aux monnaies tier- ces ; la conversion des monnaies nationales se ferait hors marché des changes, comme c'est aujourd'hui le cas des actifs (définis en une même monnaie nationale) constitués auprès de différentes banques au sein d'un même système bancaire. L'avantage principal de notre proposition serait de mettre l'euro au service de l'ensemble des pays de l'Union. Conservant leurs monnaies nationales et disposant néanmoins de parités fixes garanties par le système de compensation, les pays européens verraient la fin de la situation actuelle où ils doivent sacrifier la croissance de leur production intérieure au maintien (malgré tout très aléatoire) de la stabilité de leurs monnaies nationales.
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.