La fin du travail : pour ou contre

Le livre de Dominique Méda (1) est le premier à avoir posé comme axiome que l'économie n'est pas le seul remède à la crise du travail. Dans son ouvrage, la philosophe n'hésite pas à mettre les pieds dans le plat en posant la question : et si le consensus qui nous dit que l'homme a besoin de travail nous empêchait de réfléchir sur le sens du travail et d'imaginer une société construite sur d'autres bases ? A la suite d'auteurs comme Jeremy Rifkin (la Fin du travail, La Découverte, 1996), elle estime qu'une société ne peut subsister durablement en se donnant pour seul objectif la production et pour seul lien social, le lien économique. Il faut désenchanter le travail, « réduire sa place dans la vie individuelle afin de libérer un véritable espace public où d'autres activités pourront se développer et générer du lien social ». Pour elle, au lieu de gérer la pénurie, il est nécessaire de s'engager dans la voie d'une répartition volontaire du travail disponible sur l'ensemble de la population active. Si on ne le fait pas, cette redistribution se fera de manière désordonnée, par l'exclusion d'une fraction croissante de la population du marché du travail. C'est donc par un appel à la dignité humaine qu'elle ponctue son propos, en souhaitant qu'on rende possible l'accès en permanence et pour chacun à la richesse des activités qui jalonnent l'existence : les activités productives, les activités culturelles, les activités privées et les activités politiques. Sentiment d'honneur. Point de vue en apparence diamétralement opposé de Dominique Schnapper (2). Dans nos sociétés, le travail est un vecteur essentiel de l'organisation sociale ; activité professionnelle et citoyenneté sont liées, estime-t-elle. Pour la sociologue, il ne s'agit pas de réfléchir contre le travail mais sur les moyens de l'aménager. Selon elle, ce n'est pas parce qu'on travaille moins d'heures qu'on peut en déduire « que le travail a cessé d'être une norme, d'avoir de la valeur, d'organiser la vie collective ». Outre le fait d'être le moyen d'assurer la vie matérielle, le travail demeure lieu de l'expression de la dignité de soi et des échanges sociaux. L'idée de travail est constitutive de la définition de l'homme occidental. Travail et dignité ont toujours été associés dans notre société. La défense de l'emploi et le désir de reconnaissance sociale vont de pair. Et il serait naïf de penser que tout cela pourrait être remis en question. Aujourd'hui, une part importante de la population ne dispose plus du statut de salarié permanent, il faut donc trouver d'autres façons d'établir le lien social. Pour Dominique Schnapper, cela ne veut pas dire que le travail ne restera pas une norme. On constate des variantes suivant les pays européens dans la façon dont on se représente le travail : par exemple les Néerlandais ont un rapport plus « instrumental » à leur travail, il s'agit d'abord d'obtenir un salaire, ils acceptent plus facilement des solutions intermédiaires, que certains Français considèrent comme « déclassantes ». Plus qu'ailleurs, principalement pour des raisons historiques, la société française a conservé un sentiment d'honneur lié au travail dans l'expression de l'identité et de la valeur de chacun à travers la qualité de son emploi. Toute la difficulté est là. Pistes et valeurs. Il faut repenser le travail, trouver de nouvelles valeurs à partager. Et sur ce point Dominique Schnapper et Dominique Méda finissent par se rejoindre. Quelles sont les pistes de réflexion : la réduction du temps de travail, la création de nouveaux emplois de services aux personnes, lutter contre l'exclusion et envisager la flexibilité, mais à la mesure de chacun... Faut-il développer une conception nouvelle du secteur concurrentiel ? Pour Dominique Schnapper, la réduction du temps de travail pour le partager n'est pas une solution au niveau global. La réduction du temps de travail rte liée au progrès de la productivité. La raison première de l'entreprise est de gérer un projet économique. La place d'une économie sociale renouvelée est conditionnée par le développement d'une économie compétitive. On ne peut opposer l'une à l'autre. Estelle Leroy et Yan de Kerorguen (1) « Le Travail, une valeur en voie de disparition », par Dominique Méda, Editions Aubier/Alto, 1995, 158 pages, 120 francs. (2) « Contre la fin du travail. Entretien avec Philippe Petit », par Dominique Schnapper, 1997, Editions Textuel, 108 pages, 79 francs.
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