Entre fournisseurs et clients, des « fuites » restent possibles

Parmi les « satellites » de l'entreprise, les fournisseurs comme les clients peuvent servir de relais, voire de cheval de Troie, à un concurrent mal intentionné. « On sait que Michelin brouille les pistes en achetant différents types de matériaux que le groupe n'utilisera pas », souligne Robert Guillaumot, à la tête du groupe Inforama et vice-président de l'Association française de l'intelligence économique et concurrentielle (Afiec). En effet, remonter la filière du fournisseur est un moyen d'obtenir des informations sur la production de l'entreprise. Et l'étude Intelco (1) de citer le cas d'une PME installée sur une « niche », qui importe des matériaux spécifiques en grande quantité, et dont le dirigeant se plaint du manque de protection de ce type d'information à la frontière française : les données des services douaniers étant accessibles, ses concurrents peuvent évaluer l'évolution de sa production. La première règle pour une entreprise est donc de classifier son information, et d'en déterminer le spectre de diffusion. Y compris vis-à-vis de son banquier, qui doit être considéré dans cette approche comme un fournisseur : « Ne pas leur donner certaines informations n'est pas une marque de défiance, mais une organisation de l'entreprise ; celles-ci peuvent leur être communiquées en contrepartie d'un engagement de confidentialité, et il ne faut hésiter à faire intervenir des procédures écrites spécifiques », poursuit Robert Guillaumot. Côté clients, les risques se situent à deux niveaux. Nombre d'entreprises se sont déjà fait piéger en répondant à une commande attrayante d'un futur client leur demandant moulte renseignements sur la nature de leur produit avant de concrétiser tout engagement. « L'enthousiasme prend le dessus devant la perspective d'une commande importante à l'export », commente Laurent Hassid, consultant au sein de Intelco. Et les entreprises ne se méfient pas suffisamment. La sous-traitance exposée. Les entreprises sous-traitantes sont un point de passage sensible. D'un côté, elles sont régulièrement approchées par l'entreprise concurrente du donneur d'ordre, et peuvent alors devenir un moyen de glaner des informations. De l'autre, il arrive qu'un de leur process soit « imité » par un de leur donneur d'ordre ou transmis à un sous-traitant concurrent. Les PME fragilisées n'ont pas, en cas de litige, le poids financier suffisant pour entamer une procédure. Souvent, elles baissent les bras, pensant la bataille perdue d'avance. « Pourtant, un industriel du secteur automobile qui avait contrefait les plans de son ancien sous-traitant - plans commu- niqués sous prétexte d'une démarche d'assurance qualité - a été condamné à 3 millions de francs de dommages et intérêts et 4 % de droits sur la fabrication en contrefaçon faite par le donneur d'ordre », commente Igor Deiness, à la tête du cabinet conseil Qualigor. Donneurs d'ordres envahissants. De nombreuses PME dénoncent l'attitude de ces donneurs d'ordres trop envahissants : « Les PME innovantes sont soumises à des visites permanentes de spécialistes qui affirment tous être habilités au secret. Souvent, nous sommes obligés de leur ouvrir les portes, à la demande des donneurs d'ordres », témoigne Jacques Barillot, à la tête des établissements Barillot-Creuzet (260 millions de francs de chiffre d'affaires, 700 salariés), une PME qui travaille pour le secteur aéronautique : « Bien que les donneurs d'ordres nous assurent la confidentialité, il est toujours possible - cela s'est déjà produit - qu'une personne en charge d'un audit pour leur compte change de fonction deux ans après et rejoigne un de nos concurrents directs. C'est un vrai problème. » Installé à Marmande, ce chef d'entreprise qui a fait l'amère expérience d'un « pillage » techno- logique admet qu'il est particulièrement difficile pour une PME de protéger ses innovations, y compris à travers le dépôt de brevets qui sont déjà une mise en avant de son savoir-faire et suscitent donc un risque supplémentaire de « fuites » en prévenant la concurrence. Alors même que les spécialistes du droit recommandent ce type de protection. Une contradiction qui montre bien que le dossier « sécurité et confidentialité » ne se compose pas de solutions toutes faites. Estelle Leroy (1) Intelligence économique et stratégie des PME sur la région Poitou-Charentes.
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