« Le paysage des SSII est en pleine recomposition »

« La Tribune ». - Six des plus grandes sociétés de services informatiques (SSII) françaises recherchent de nouveaux actionnaires ou changent de mains (1). Sans parler de la quantité de petites sociétés qui se font racheter. Comment expliquez-vous cette situation ? Georges Grima. - Du point de vue capitalistique, les SSII françaises ont connu un fort développement il y a cinq ou six ans. A cette époque, les sociétés de capital-risque ont pris des positions dans des sociétés du secteur informatique, pas des positions fortes, mais entre 20 et 30 %. Le délai de cinq ans imparti au capital-risque arrive aujourd'hui à échéance. Les investisseurs doivent sortir, et ce, quelle que soit la tendance du marché. Or, cette échéance arrive au mauvais moment, car la crise qui a affecté le secteur incite d'autres actionnaires à profiter de cette occasion pour sortir, eux aussi, du capital. Cette situation est surtout celle des petites et moyennes SSII, qui réalisent jusqu'à 300 millions de francs de chiffre d'affaires, ou celle des plus jeunes, qui se sont lancées au mauvais moment et réalisent 20 ou 30 millions de francs de chiffre d'affaires. Qu'y a-t-il de différent pour les grandes SSII ? Elles sont affectées par plusieurs problèmes en même temps. Certaines ont mal anticipé la crise et affichent aujourd'hui des pertes. Dans ce cas, leur principal actionnaire perd confiance et veut se désengager. Pour d'autres, l'actionnaire de référence a lui-même des problèmes qui l'obligent à se recentrer sur son premier métier. Il espère qu'en se désengageant, il récupérera du cash-flow et fera une plus-value. D'autres encore - et elles sont plusieurs dans ce cas - ont ou vont changer de mains, car leurs dirigeants et fondateurs arrivent à l'âge de la retraite. C'est le cas de CGI, rachetée par IBM, ou de GSI, récemment reprise par l'américaine ADP. Pour les grandes SSII, la principale difficulté actuelle tient à ce que différents cycles sont en train de boucler au même moment. Cap Gemini Sogeti, par exemple, pâtit des problèmes de son principal actionnaire, Daimler-Benz. A cela, s'ajoute une crise durable, la première de ce genre qu'ait connue le secteur. On assiste donc à une importante recomposition du paysage des SSII françaises et nombre d'entre elles risquent de basculer. De basculer vers quoi ? D'être rachetées par de grandes entreprises américaines pour lesquelles le marché français reste un véritable casse-tête et où elles n'arrivent pas vraiment à s'imposer. Leur stratégie consiste à racheter une SSII, même au prix fort comme cela a été le cas de GSI rachetée par ADP pour 2,3 milliards de francs, ce qui est très important, puis à « faire le ménage » en revendant les activités qui ne les intéressent pas, ensuite à mettre en place leurs méthodes. Regardez ce qui s'est passé avec GFI. Cette société a été rachetée par EDS, qui n'en a finalement gardé qu'une petite partie, celle qui l'intéressait ! ADP procédera vraisemblablement de la même manière avec GSI. Pour ces sociétés, c'est une manière de diminuer le prix d'achat et d'augmenter leurs parts de marché en Europe. En quoi cela est-il un risque, une menace ? Les SSII font partie du patrimoine national et les Français ont de réelles compétences dans les domaines du logiciel et des services. Les actionnaires français qui se désengagent manquent à leurs responsabilités. Les pouvoirs publics affirment vouloir renforcer la position française dans les services, mais il y a de plus en plus de sociétés américaines dans les vingt premières SSII en France. Seuls les grands groupes américains ont les moyens de racheter des SSII classées parmi les premières en Europe. A quoi est due, selon vous, cette vulnérabilité des SSII françaises ? A ce qu'elles tardent à reconnaître qu'elles ne savent pas tout faire et que leur objectif reste de grandir sans limite. Je crois qu'il est temps d'adopter un nouveau schéma d'organisation. Mais les managers français ne veulent pas se défaire des activités dans lesquelles ils ne sont pas les meilleurs. Ils fonctionnent encore selon un schéma d'entreprise universelle, présente sur tous les fronts. Or la donne a changé. Aujourd'hui, il faut savoir créer des pôles de compétence avec des partenaires et être capable de réduire son périmètre si nécessaire. Plusieurs exemples témoignent de cette évolution : le recentrage d'EDS, l'éclatement d'AT&T ou la réorganisation d'IBM... Les clients des SSII ont déjà cette approche-là ; ils travaillent avec plusieurs sociétés selon leurs compétences. Une SSII ne peut pas être aussi bonne en intégration de systèmes, en infogérance, en progiciels... Pourquoi n'arriverait-on pas à des sociétés qui réalisent 1,5 milliard de francs de chiffre d'affaires, mais avec une très forte valeur ajoutée, au lieu de viser un chiffre de 15 milliards ? En résumé, je dirai que les SSII françaises doivent maintenant faire des choix en termes économiques, de métiers et de prestations. Comment voyez-vous la SSII idéale dans trois ans ? Ce ne sera plus une SSII ! Plusieurs facteurs contribuent à une remise en question de l'organisation et de la structure informatique dans les entreprises. D'abord, l'informatique est devenue stratégique, son contrôle n'est plus dans les seules mains des directeurs informatiques. Les budgets, qui n'augmentent plus au même rythme que dans les années 80, sont éclatés entre les différentes entités utilisatrices et il n'y a plus de très grands projets. Cette remise en cause totale de l'informatique dans l'entreprise oblige les SSII à revoir leur organisation et leur positionnement. Celles qui réussiront demain sont celles qui proposeront des services à forte valeur ajoutée en exploitant toutes les technologies disponibles, celles qui vendront des solutions et non plus des outils, autrement dit celles qui connaîtront les métiers et donc les besoins de leurs clients. Les SSII deviendront des sociétés de services, mais l'informatique ne sera plus qu'une des composantes de leur offre ! Propos recueillis par Sophy Caulier (1) Cap Gemini Sogeti, Sligos, Sema Cisi, Stéria, Axime, entre autres.
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