Les tissus Souléiado contrefaits mais pas défaits

Rue de Seine à Paris, près du Luxembourg. D'un côté de la rue, la boutique Souléiado, marque renommée sur le plan international pour ses imprimés originaux et colorés qui a hissé le tissu provençal au rang de produit de luxe. De l'autre côté, une autre boutique lui fait face, avec en vitrine des textiles qui lui ressemblent et qui, depuis quinze ans, semble adopter un comportement de « suiveur ». Une géographie inédite, reflet d'une vieille histoire de concurrence, sans doute pas terminée, mais au sujet de laquelle Christiane Deméry et son frère Jean-Pierre, les héritiers de Charles Deméry, qui a créé Souléiado dans les années 60, n'ont plus envie de se prononcer. La directrice de Souléiado ne regarde même plus de l'autre côté de la rue : « On ne peut pas passer son temps à courir après les faussaires et à monter des dossiers. Il faut penser au développement commercial. Et puis, il n'y a que les bons qu'on cherche à imiter, se rassure-t-elle. Etre copié est un vrai signe de reconnaissance. » Philosophe, la famille Deméry ! Elle a connu tant de contrefaçons qu'elle en a fait un musée. Prévoyante aussi. Elle a systématiquement déposé tous les dessins de ses tissus. Et tous les proches sont sollicités pour faire acte de vigilance : les collaborateurs de l'entreprise, les bons clients, les franchisés, les amis. Vingt fois copié en deux ans. Pour le manufacturier de Tarascon (55 salariés avec un chiffre d'affaires de 65 millions de francs), le vrai problème, c'est quand à la contrefaçon s'ajoute la concurrence déloyale. Quand toute une ligne est copiée, le préjudice est évidemment plus important. Il y a six ans, des stylistes de chez Benetton ont utilisé des dessins Souléiado pour des produits destinés au marché américain. Les boutiques licenciées Souléiado sur place ont souhaité que la direction les traîne en justice. Mais l'alerte a été donnée trop tard et les avocats américains de Benetton avaient déjà pris les devants. A l'étranger, un plaignant sur deux est débouté. Résultat, la procédure n'a pas abouti. « Se battre sur le terrain américain, c'est de la folie », reconnaît Christiane Deméry, qui regrette aujourd'hui de ne pas avoir négocié : « Cela revient moins cher et c'est autant d'énergie à dépenser en moins. Surtout qu'on n'est jamais sûr d'avoir gain de cause. Et quand il y a des indemnités, elles remboursent à peine les frais de justice. » La marque subit deux types de contrefaçon : l'imitation d'un dessin et le piratage de la marque à l'étranger, comme cela s'est produit au Brésil. La plupart du temps, il s'agit de contrefaçons ponctuelles, réalisées par ignorance, parfois avec bonne foi. En deux ans, Souléiado a été copié une vingtaine de fois mais sans conséquence majeure. « A chaque fois, nous avertissons notre avocat qui envoie immédiatement les huissiers. Mais on négocie presque toujours. Et cela peut se passer sans dommages », souligne Christiane Deméry. Exemple : un fabricant de chaussettes avait utilisé les imprimés sans l'accord des établissements Charles Deméry. « Du travail de qualité, joliment fait. Nous avons considéré que cela ne portait pas atteinte à l'image de marque. Un accord commercial a été trouvé. En général, les PME françaises sont correctes, elles ont peur d'être montrées du doigt et n'insistent pas. » Confiante, la maison Deméry ne doute pas de son capital de notoriété. Dans un secteur textile en plein marasme et où Souléiado n'a pas été épargné, et après des déboires avec leur réseau américain, les héritiers sont optimistes : « On a de la chance d'être sur un marché marginal. Notre force, c'est qu'on identifie spontanément le tissu provençal à Souléiado et qu'on est reconnu comme éditeur de luxe. Les marques fortes survivront toujours », souligne Christiane Deméry. Les contrefacteurs n'ont qu'à bien se tenir. Souléiado n'a pas dit son dernier mot. Yan de Kerorguen
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