Réforme des institutions : pourquoi la prudence s'impose

Ala suite de la parution dans le Monde des 7 et 29 mai de propositions de changement institutionnel ayant pour auteurs cinq éminents spécialistes du droit public, le débat sur la réforme constitutionnelle, avivé par la nouvelle « cohabitation », suscite d'intenses controverses. Deux grandes tendances se dégagent : l'une vise à instaurer un « véritable » régime parlementaire, l'autre à établir un « vrai » régime présidentiel. Sans porter un jugement de valeur sur les solutions proposées, il convient d'apprécier leur efficacité prévisible au regard des objectifs poursuivis par leurs auteurs. Régime parlementaire. La notion classique de régime parlementaire repose sur l'idée d'un équilibre entre le législatif et l'exécutif : elle est fondée sur l'existence d'une collaboration entre les organes, la responsabilité politique et le droit de dissolution constituant les procédés par lesquels s'exprime cette collaboration. Dans sa réalité actuelle, comme en Grande-Bretagne ou en Allemagne, le régime parlementaire se caractérise par l'effacement du chef de l'Etat, qui ne s'immisce pas dans la conduite des affaires et renonce même à la faculté de révoquer le Premier ministre. Le pouvoir procède alors d'une source unique : le Parlement. Le but recherché par les adeptes du régime parlementaire est d'affaiblir la position du président de la République en redonnant au gouvernement la direction de la fonction exécutive et en restaurant l'importance du Parlement. Diverses modifications à la Constitution sont ainsi présentées comme nécessaires. Cependant, les effets de ce calcul paraissent bien aléatoires. Car ces réformes sont en elles-mêmes insuffisantes à assurer le fonctionnement souhaité. Si, en effet, le président dispose d'une majorité fidèle, on ne voit pas ce qui pourrait l'empêcher de faire prévaloir sa politique et de diriger le travail parlementaire. A moins que ce ne soit le Premier ministre qui, issu de la majorité parlementaire, se comporte lui-même en leader et oriente l'activité législative ; mais dans ce cas, le problème n'est que déplacé. Au contraire, dans l'hypothèse où le Parlement serait divisé en de nombreuses tendances minoritaires, il est probable que l'application des institutions se rapprocherait des pratiques des IIIe et IVe Républiques. Pour en éviter la reproduction, les partisans du régime parlementaire prévoient alors l'instauration de mécanismes tels que la dissolution automatique. Mais, en l'absence de parti majoritaire, l'efficacité de ces procédés demeure douteuse : le droit de dissolution, appliqué à un système de partis atomisés, agit faiblement sur leur structure. Régime présidentiel. Le raisonnement des partisans du régime présidentiel encourt la même critique : la réalisation du but poursuivi (assurer l'indépendance du Parlement et du président et leur coexistence pacifique) est également illusoire. La forme de gouvernement qu'on appelle régime présidentiel, et qui a trouvé aux Etats-Unis à la fois sa première application et sa seule réussite, consiste à maintenir les pou- voirs législatif et exécutif strictement séparés et à les laisser, en cas d'affrontement, trouver empiriquement les compromis appropriés. Toute l'économie du système est commandée par l'irresponsabilité politique des ministres devant le Parlement et par sa réciproque, l'absence du droit de dissolution : de même que le Parlement ne saurait contraindre le gouvernement, le chef de l'Etat ne saurait renvoyer les parlementaires devant les électeurs. Or, le régime présidentiel ne saurait en lui-même éviter la suprématie du chef de l'Etat. S'il existe une coïncidence entre majorité parlementaire et majorité présidentielle, les dispositions constitutionnelles seront insuffisantes à juguler la prééminence du président. Dans ce cas, le Parlement acquiescera aux décisions présidentielles, et le changement par rapport à la situation actuelle sera difficilement perceptible. On fait observer qu'aux Etats-Unis, le président, disposant au Congrès du soutien majoritaire de son parti, n'est pas libre d'agir comme il l'entend. Mais cela tient non au type de régime adopté, mais à la configuration des partis américains, indisciplinés et divisés. Or, on ne peut attendre d'une transformation constitutionnelle opérée en France des effets immédiats et radicaux sur un système de partis différent de celui qui existe aux Etats-Unis. En revanche, s'il n'y a pas coïncidence entre majorité parlementaire et majorité présidentielle, on escompte que les vertus du régime présidentiel permettront tout à la fois de résoudre les conflits et d'éviter l'instabilité gouvernementale. Or il est douteux qu'en situation de multipartisme, on puisse en même temps assurer la coexistence du président et du Parlement et empêcher le développement de l'instabilité. L'absence de responsabilité politique des ministres n'empêcherait pas l'utilisation d'autres procédés de contrôle (comme le vote des lois et du budget) qui constitueraient, pour le Parlement, autant de moyens de pression à l'égard d'un président qui ne pourrait dissoudre. Propositions fragiles. Ainsi analysées par rapport au but poursuivi, les propositions actuelles paraissent bien fragiles. Il ne suf- fit pas, en effet, d'une étiquette et de quelques transformations pour maîtriser des éléments qui font partie de l'environnement politique et qui y jouent, plus que les textes, un rôle essentiel. La machine institutionnelle, indépendamment des mécanismes juridiques prévus, dépend essentiellement de la sociologie de la nation. C'est là que réside l'erreur commise par ceux qui imaginent pouvoir imposer une mutation profonde au spectacle politique en changeant simplement le décor. Le débat constitutionnel ne relève trop souvent que du marketing politique et ne favorise guère la recherche de solutions adéquates et juridiquement viables. Car s'il est vrai que les structures juridiques engendrent des modes de fonctionnement différents selon les données du contexte politique, alors il est manifeste que nos institutions ne peuvent être corrigées qu'à la marge, pour des raisons tant de faisabilité technique que d'opportunité politique.
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