Rentier et contribuable

L'un des lieux communs de la fin de ce siècle, c'est qu'il n'est plus possible de recourir au fameux procédé de l'« euthanasie du rentier », qui consiste à éteindre par l'inflation les créances de l'épargnant sur l'Etat, à petits feux et de manière plus ou moins indolore. Ce qui voudrait dire que, pour la première fois dans l'histoire, l'Etat débiteur paierait ses dettes jusqu'au dernier centime, capital et intérêts. Une nouveauté aussi révolutionnaire mérite cependant d'être examinée sans préjugé. Remarquons d'abord que le terme lui-même est dû à l'inventivité cynique de Keynes, le plus grand économiste du XXe siècle, pour le meilleur et pour le pire. Il faut prendre ce terme au pied de la lettre. Après tout, il vaut mieux mourir doucement plutôt que d'être banni, ou torturé ou même brûlé en place de Grève, comme cela arrivait autrefois aux créanciers de l'Etat qui avaient la mauvaise grâce de vouloir se faire rembourser autrement qu'en monnaie de singe. Dans cette perspective, l'euthanasie du rentier apparaît, du point de vue des droits de l'épargnant, comme un progrès. Or, il n'est pas sûr que le renoncement à l'euthanasie puisse être considéré lui-même comme un nouveau progrès. Notons d'abord que cette renonciation n'est pas due à une soudaine progression de la vertu financière chez nos gouvernants. Tout simplement, l'inflation n'est plus possible pour au moins deux raisons, qui tiennent toutes deux à la libéralisation des échanges. D'une part, l'ouverture des marchés des biens et des services condamne une part de plus en plus grande de l'activité économique, même dans les recoins les mieux protégés, à une concurrence sans merci. D'autre part, ce qu'il est convenu d'appeler la mondialisation de la finance permet aux gestionnaires de fonds de vendre massivement les fonds d'Etat au moindre soupçon de laxisme monétaire, ce qui a pour effet immédiat de faire remonter les taux d'intérêts, de bloquer la croissance, et d'arrêter net la moindre ébauche de reprise de l'inflation. Bref, l'inflation est devenue une menace imaginaire. Les deux exemples conjoints de l'Angleterre et de l'Italie le montrent bien : malgré une brutale dévaluation de la livre et de la lire, la hausse des prix s'est ralentie dans ces deux pays, contrairement aux prévisions de certains Cassandre, intéressés en fait à démontrer que l'appartenance au système monétaire européen était la meilleure garantie contre une résurgence inflationniste. Cette impossibilité d'inflation ne signifie pas pour autant que nos vieux Etats vont pousser la vertu jusqu'à réduire leurs dettes. Pour que le pourcentage de la dette diminue, en terme de PIB, il faudrait en effet, d'une part, que le taux de croissance soit durablement supérieur au taux d'intérêt réel ou/et que, d'autre part, le Trésor public dégage un excédent « primaire », c'est-à-dire un surplus de ses recettes sur ses dépenses, non compris le remboursement de la dette. La deuxième voie paraît en Europe davantage à portée de main que la première, étant donné la faiblesse du taux de croissance. Mais elle suppose des sacrifices qui sont autant de risques politiques pour les gens en place. Dès lors, il faudrait que l'Etat, s'il veut vraiment réduire le fardeau de la dette qui obère ses finances, vise le rentier avec plus de précision, par un impôt spécifique : une manoeuvre analogue à celle qui pourrait être tentée sur les retraites, qui sont aussi en partie des créances irrécouvrables... L'Etat reprendrait d'une main ce qu'il accorde de l'autre. Après tout, le rentier est aussi un contribuable, il est créancier de lu
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