Les quatre paradoxes de l'industrie bancaire

Par latribune.fr  |   |  922  mots
Les banques sont en général, en France, accusées de trois méfaits. D'abord elles ne veulent pas prendre de risques ; suivant la formule populaire, elles ne veulent prêter de parapluie qu'en cas de beau temps. Par contre, quand elles en prennent, c'est souvent à contretemps. Les banques ont, coup sur coup, prêté à perte aux pays d'Amérique latine, aux promoteurs juste avant le krach immobilier, aux petites et moyennes entreprises quelques mois avant la récession. Enfin, elles font subir à leurs clients des commissions trop élevées. En fait, ces critiques sont contradictoires. Les banques ne peuvent faire des prêts que si elles ont des fonds disponibles, c'est-à-dire si elle prélèvent des commissions suffisantes pour réussir à se développer. Si elles trouvent facilement des fonds, principalement en période d'euphorie où ils sont moins utiles, elles ont impérativement besoin de les placer et prennent de ce fait de trop grands risques. Si l'on approfondit ces problèmes, on s'aperçoit que l'on se heurte à quatre paradoxes. Premier paradoxe : les banques ne peuvent faire que de mauvaises affaires. Elles ont peu de capitaux. Le ratio Cooke fixe à 8 % le minimum de capitaux permanents qu'elles doivent détenir. Cela signifie que leur bilan (total des crédits pour les banques commerciales) atteint 12 fois et demi le montant de leurs capitaux propres et emprunts à long terme. Le niveau de leurs capitaux propres « durs » (dits du « tiers 1 ») étant très faibles, les banques sont essentiellement vulnérables. De plus, elles sont éternellement soumises au chantage de leurs « bons clients ». En effet, comment pourraient-elles refuser un prêt à un promoteur lié à une société qui assure une part non négligeable de leur activité ? Deuxième paradoxe : pour faire leur métier, les banques se doivent d'avoir un comportement a- social. Comme toute entreprise, elles doivent améliorer leur productivité au risque d'aggraver le chômage. Cela explique les méga-fusions aux Etats-Unis comme celle de Chase Manhattan et Chemical Banking. Cette solution est peu adaptée à la France où les licenciements sont difficiles à réaliser. Par ailleurs, les banques peuvent prélever des commissions supplémentaires sur le public. Elles se concurrencent de façon très âpre sur la qualité des services rendus, la publicité, l'informatisation, etc., mais elles se refusent à se concurrencer sur les prix. Dans le cas français, la situation est plus délicate. Les pouvoirs publics sont incités par le Parlement à intervenir dans les règles de gestion des banques. Ainsi, il n'est toujours pas possible de faire payer les chèques et difficile aux banques d'augmenter le coût des cartes de crédit. Troisième paradoxe : si les banques ont fait de mauvaises affaires, il faut que l'Etat assure le redressement du secteur bancaire. Le secteur bancaire étant indispensable à l'activité économique, l'Etat doit intervenir en dernier ressort. La manière la plus classique est la subvention qui peut être temporaire ou définitive. En France, cette politique est en train d'être appliquée pour le Crédit Lyonnais, le Crédit Foncier ou la Banque du BTP. D'où une atmosphère de suspicion malheureusement très malsaine car cela ne facilite pas un retour à la confiance envers nos établissements. L'Etat peut agir de façon plus subtile en utilisant une clause très particulière du ratio Cooke. En effet, tout emprunt à la banque centrale d'un pays utilisé à acheter des obligations de ce pays n'est pas inclus dans le ratio Cooke. Ainsi les banques américaines ont pu profiter du taux d'escompte de 3 % maintenu pendant deux ans par la Réserve fédérale pour se surendetter auprès de cet organisme et acheter des obligations dont le rendement a varié pendant la période de 5,60 % à 6,30 %. Cette politique serait très utile en France où il existe un déficit dramatique de la masse monétaire M3 (La Tribune du 2 juin 1996). Depuis un an, ce déficit s'est encore élargi, même en prenant en compte les transferts massifs des OPCVM de trésorerie vers les obligations. Toutefois, cette politique suppose une augmentation « autonome » de la masse monétaire par la Banque de France pour compenser la faiblesse de création monétaire des banques françaises encore empêtrées dans leurs problèmes immobiliers. Quatrième paradoxe : les banques ont un comportement inverse de celui des autres entreprises. En période de ralentissement économique, les entreprises industrielles et commerciales ont tendance à accélérer leur recherche de clientèle, à faire un effort de publicité, à faire des rabais, quitte à accepter temporairement de légères pertes, dans l'attente de la reprise économique. Les banques en période difficile ne peuvent plus prendre de risques. Comme leurs fonds prêtables sont essentiellement les dépôts de leurs clients elles ont une responsabilité dans leur remboursement. Ainsi, il y a à la fois antinomie et symétrie dans les comportements des industriels (et commerçants) et des banquiers. Tous deux vont accepter de faibles pertes dans l'attente de jours meilleurs mais les premiers en cherchant le développement maximum, les seconds en se repliant frileusement sur eux-mêmes. Ces quatre paradoxes expliquent la situation difficile des banques françaises mais également l'ampleur de la récession qui nous frappe. Toutefois, il semble cependant que l'on assiste à une reprise de la masse monétaire au taux annuel de 3 1/2 %. Si cette croissance de la masse monétaire et la petite reprise économique s'auto-alimentent, la situation économique française pourrait s'améliorer.