"Le déficit courant est un incubateur de déséquilibres"

Vous avez évoqué dans une récente étude des "créanciers saturés d'actifs libellés en dollars et tentés par la grève". Quelles en seraient les premières manifestations ?- Cette perspective est incertaine et il me semble que l'on ne devrait pas tant assister à un arrêt brutal de l'accumulation d'avoirs libellés en dollars qu'à une inflexion du taux de croissance de cette accumulation. Une défiance radicale se traduirait par une envolée des primes de risque et par un effondrement du billet vert. Il s'agirait là du scénario le plus noir. Je pense qu'il est plus probable que les investisseurs non résidents exigent peu à peu une meilleure rémunération de leur investissement, qui se traduira par une hausse graduelle des taux d'intérêt à laquelle participera la Réserve fédérale.Y a-t-il davantage lieu de s'inquiéter aujourd'hui qu'hier du déficit des comptes courants américains ?- Le fond du problème, c'est que le déficit est devenu abyssal et que le rythme d'accumulation d'actifs en dollars de la part des banques centrales asiatiques s'est accéléré au cours des deux dernières années. Il risque désormais de ralentir. Toutefois, compte tenu de leur modèle de change - fixe dans le cas de la Chine ou plus ou moins flottant pour les autres pays asiatiques -, l'achat d'actifs en dollars constitue pour les pays asiatiques une sorte de subvention pour leurs exportateurs. De plus, un pays comme la Chine n'a pas, compte tenu du stock de ses actifs, intérêt à faire chuter le dollar de manière désordonnée.Qu'en est-il des investisseurs privés ?- Ils pourraient, à terme, prendre le relais des banques centrales. Ces institutionnels (fonds, banques, assurances, entreprises...) réagissent en fonction de leurs anticipations pour l'économie américaine à moyen terme et du retour sur investissement qu'ils en attendent. C'est là que le bât blesse, une forte déception économique pouvant théoriquement inciter les investisseurs non résidents à rester chez eux, c'est-à-dire dans le cas d'Européens à investir davantage en Europe, comme ce fut le cas en 2001-2002. Pour l'heure, cela ne semble pas le cas : la croissance américaine semble se consolider autour de son potentiel de 3,5 % et le marché de l'emploi confirme son redressement progressif. Et la forte dépréciation du dollar a rendu les investissements aux Etats-Unis plus attrayants pour les Européens.Pourquoi, selon vous, d'avantage d'opérateurs privés ne tirent-ils pas la sonnette d'alarme ?- Personnellement, je suis inquiet de longue date. Car mécaniquement, on constate bien qu'il existe un seuil de saturation des non-résidents à acheter des actifs en dollars. L'inquiétude des opérateurs est bien réelle, mais les déficits se creusant et les déséquilibres perdurant, elle s'est diluée dans le temps. Quand je discute avec des confrères américains de cet axe américano-asiatique, ils me répondent "It's a system, stupid !", qui a sa cohérence, avec d'un côté un déficit et de l'autre des pays pour le financer. Le paradoxe, c'est que le déficit des comptes courants américain est à la fois le moteur de la croissance de l'économie mondiale et l'incubateur de ses déséquilibres. Le système trouvera sa limite lorsque l'Asie aura développé une dynamique de croissance suffisamment autonome pour s'émanciper du dollar. Ce sera le tournant à partir duquel la diversification des investissements asiatiques en euro s'accentuera.Propos recueillis par Eric Chalmet
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