L'émigration : un cadeau empoisonné

Alors que les législateurs américains ne parviennent pas à un consensus sur la réforme de l'immigration, de l'autre côté du Rio Grande les candidats à la présidence s'accordent pour reconnaître que l'émigration n'est pas la solution à tous les maux du pays.Aujourd'hui, de 4 à 6 millions de Mexicains résident de manière illégale aux États-Unis et, chaque année depuis 2000, près de 450.000 prétendants au rêve américain passent la frontière avec ou sans visa, des chiffres en constante progression depuis 1990. Bien que cette recrudescence ait parfois été attribuée à l'Accord de libre-échange nord-américain (Alena) de 1994 qui aurait dévasté les campagnes, la crise du secteur primaire mexicain est surtout due à des politiques agricoles antérieures. Dès 1991, des réformes permettant la vente des terres cultivables et marquant la fin de la régulation des prix et de l'octroi de crédits à taux préférentiels ont changé la structure de la production, favorisant les grands groupes agro-industriels au détriment des exploitations familiales, selon Olegario Carillo de l'Union nationale d'organisations régionales paysannes autonomes. Le gouvernement a donné le coup de grâce aux petits producteurs en acceptant l'importation de maïs et de haricots rouges américains subventionnés en "quantités supérieures à celles prévues par les quotas" négociés dans l'Alena, explique l'économiste Yolanda Trápaga.Nouveaux profilsSur le plan industriel, l'accord n'a pas créé les emplois nécessaires à l'absorption de plus d'un million de jeunes arrivant tous les ans sur le marché du travail. "La dynamique très positive que l'on constate entre 1996 et 2000, avec la création de 700.000 emplois formels par an, ne s'observe plus après 2000", déclare l'anthropologue Agustín Escobar. Résultat : la nature de l'émigration s'est modifiée. Auparavant, les émigrés étaient principalement des hommes seuls venant de la campagne et d'un niveau d'éducation moyen. Désormais, ce sont des femmes seules ou des familles entières qui se rendent "de l'autre côté", ainsi que des citadins ayant fait des études supérieures.Bien que la contribution des émigrés à l'économie mexicaine soit indéniable (plus de 20 milliards de dollars en remise de fonds en 2005), l'émigration n'en est pas pour autant désirable. Le Mexique perd des cerveaux et une main-d'oeuvre précieuse qui généreraient plus de richesse sur place qu'en allant chez le voisin. Ainsi, pour la première fois lors d'une élection présidentielle, les candidats ont tous affirmé la nécessité de réduire le flux migratoire. Pour cela, il ne suffit pas de créer des emplois, estime la politologue Leticia Calderón, car la plupart des émigrés travaillaient avant de partir. "Il s'agit de créer des emplois de meilleure qualité, avec de plus hauts salaires."Laurence Pantin, à Mexico
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