«La Banque mondiale doit étendre son expertise financière»

« La Tribune ». - Depuis votre arrivée à la tête de la Banque mondiale, vous avez visité vingt-cinq pays et rencontré les dirigeants politiques de ces nations. Quelles critiques ont-ils adressées à votre institution ? James Wolfensohn. - On m'a parlé, ici et là, de l'arrogance de nos jeunes fonctionnaires. Cette arrogance donne une mauvaise atmosphère dans certains pays. Je vais changer cela. Il faut démontrer aux gouvernements de ces pays, avec simplicité, que nous sommes là pour les conseiller, et cela avec une grande humilité. Je ne perds jamais de vue que le problème des pays en développement n'est pas seulement un problème économique mais aussi social. Vous avez entrepris un large mouvement de réforme de la Banque mondiale. L'effort de restructuration engagé par votre prédécesseur, Lewis Preston, s'est soldé par six cents départs nets. Vous souhaitez accroître les compétences des salariés de la Banque mondiale. En gardant des cadres, en place parfois depuis plusieurs décennies, vous pariez sur « l'adaptation ». Avez-vous réfléchi à un deuxième volet de réforme de la Banque mondiale ? Avec de nouveaux licenciements ? Avec des recrutements en direction du secteur industriel et financier ? Je veux vous dire, tout d'abord, que je vais réussir mon pari d'adaptation des cadres de la Banque mondiale vers une compétence plus industrielle et financière. Mais il est exact de dire que nous avons beaucoup à faire en matière d'efficacité et d'écoute à l'égard de nos pays clients. Pour autant, si cela devait s'avérer nécessaire, je pourrais être amené à supprimer d'autres emplois en faisant rentrer à la Banque mondiale des hommes et des femmes qui auront fait leurs preuves dans le secteur industriel et financier. La Banque mondiale est devenue une grande bureaucratie. En 1946, l'organisation comptait 38 membres et 72 agents. En 1995, elle regroupe 178 pays et 6.059 agents... Le rôle de la Banque mondiale n'est pas seulement de prêter de l'argent, mais, j'insiste, de conseiller. Si nous n'étions qu'un guichet de banque, quelques dizaines de personnes suffiraient. Mais nous avons un très vaste rôle de conseil. La question que je me pose n'est pas celle de la bureaucratie de l'organisation, mais plutôt celle-ci : avons-nous assez ou pas assez de personnel formé pour le type de conseils pointus et concrets qu'il faut développer ? Réformer la Banque mondiale pour une plus grande efficacité, dites-vous... Mais, c'est également un geste en direction du Congrès américain, pris dans des discussions sans fin sur le budget. La réforme peut-elle convaincre Washington de verser ses contributions à l'IDA (1) ? Je ne pense jamais au Congrès américain. Ce que je fais, je le fais parce que je suis convain-cu que la réforme de la Banque mon- diale est indispensable. Je n'ai pas de comptes à rendre au Congrès des Etats-Unis mais à l'ensemble des pays mem- bres, qui sont mes actionnaires. Au sujet de l'IDA et de la contribution américaine, c'est un vrai cauchemar. Bill Clinton, j'en suis certain, est à mes côtés dans cette affaire. Mais, si les Etats-Unis ne devaient pas remplir leurs engagements, nous serions placés devant un grave problème. Je comprends très bien que les autres pays membres de l'organisation n'aient pas envie de combler le trou américain. Auprès des responsables américains, je tente de faire passer l'idée que la contribution à l'IDA n'est pas seulement une question d'argent mais aussi de leader-ship américain. Une réunion s'est tenue à Londres, à la fin décembre, sur l'IDA. Il y a eu certains petits progrès, mais pas vraiment sur la question américaine. Dans l'hypothèse où la contribution américaine ne serait pas versée, comment financerez-vous ce gap ? J'inviterai nos autres partenaires à verser normalement leur contribution pendant au moins deux ans. Laissons passer les élections présidentielles américaines. Je suis convaincu qu'après cette échéance, les Etats-Unis rempliront leurs engagements vis-à-vis de l'IDA. En août dernier, le président des Etats-Unis s'est rendu chez vous, dans le Wyoming, pour sa « Birth- day Party ». Quelle a été la teneur de vos échanges sur l'aide au développement ? Sur l'avenir de la Banque mondiale ? Nous avons essentiellement parlé de son gâteau d'anniversaire ! Dans ces moments-là, nous parlons d'ami à ami. Les discussions, entre l'homme politique qu'il est et le financier que je suis, se déroulent dans d'autres circonstances. Je peux vous dire, tout de même, qu'il m'a réaffirmé que la question de l'IDA et l'aide au développement étaient des choses importantes pour les Etats-Unis. Les Etats-Unis viennent, pourtant, de se désengager de l'Onudi (2)... Partagez-vous la crainte de certains d'un désengagement américain plus massif d'autres structures économiques de l'ONU ? Non. Je suis absolument certain qu'à la Maison-Blanche et dans l'esprit de Bill Clinton il n'y a pas de volonté d'un tel désengagement. C'est juste le contraire ! Je regrette que, pour le Congrès, des problèmes budgétaires américains l'emportent sur des préoccupations stratégiques mondiales. Il y a quelques semaines, une indiscrétion relayée par la presse s'était fait l'écho de la création d'un fonds baptisé Multilateral Debt Facility de 11 milliards de dollars, pour alléger le poids de la dette d'une quarantaine de pays. Où en est la réflexion sur ce dossier ? Je ne veux pas parler de cela maintenant. L'idée de réduire les dettes multilatérales de pays à l'égard du FMI, de la BAD ou de la Banque mondiale me tient particulièrement à coeur. Je m'occupe de ce dossier directement avec Michel Camdessus, le directeur général du FMI. Ce que je peux dire, c'est que le chiffre avancé parla presse anglo-saxonne de 11 milliards de dollars, pour ce fonds, est un chiffre fantaisiste. En avril prochain, pour le Conseil intérimaire du FMI, nous présenterons, avec Michel Camdessus, le fruit de nos réflexions sur ce Multilateral Debt Facility. La Bosnie vient de faire son entrée au FMI. Envisagez-vous qu'elle devienne membre de la Banque mondiale ? Comment l'aider avant son entrée au sein de votre organisation ? Un financement d'environ 5 milliards de dollars sur trois ans sera nécessaire, comme je l'ai déjà dit, pour réparer les dommages causés par la guerre dans ce pays et relancer son économie. Nous devons remplacer le désespoir par de l'espoir et apporter la stabilité dans une région d'importance vitale pour le monde. La Bosnie n'est pas encore membre de la Banque mondiale. J'ai l'intention de demander au conseil des administrateurs de notre organisation que des fonds soient dégagés pour la Bosnie avant son adhésion prochaine. Demain à Paris, à l'invitation du gouvernement français, se tiendra une réunion ministérielle sur l'avenir économique de Gaza et des anciens territoires occupés. C'est un autre dossier de politique internationale qui vous intéresse au premier chef ? Oui, d'où ma présence à cette réunion déterminante. Là aussi, comme dans le cas de la Bosnie, une aide financière efficace est importante pour cette région stratégique du Moyen-Orient et du monde. La paix a un coût. Le développement économique assure la paix. Autre rendez-vous lors de cette visite de deux jours en France, votre deuxième rencontre avec Jacques Chirac. Vous allez discuter d'aide au développement. Comment analysez-vous les récents mouvements sociaux français ? Je n'ai rien à dire sur ce sujet. A titre personnel, je suis content que les grèves soient terminées. J'ai, ainsi, pu prendre l'avion pour venir à Paris ! Avez-vous des conseils à nous donner pour réformer notre économie ? Je n'ai aucune recette à donner à votre gouvernement pour réformer quoi que ce soit... Que je sache, la France n'est pas un pays en voie de développement ! Propos recueillis par Eric Revel (1) L'IDA, aide internationale au développement, est l'agence de la Banque mondiale qui prête aux pays les plus pauvres. Le budget de l'IDA 10 (1994-1996) est de 22 milliards de dollars. La contribution américaine s'élève à 1,2 milliard de dollars par an. Les tractations au Congrès pourraient aboutir à une contribution des Etats-Unis de l'ordre de 700 millions de dollars pour 1996. L'IDA 11 (1997-1999) s'annonce donc mal. (2) Les Etats-Unis ont décidé, le 4 décembre 1995 de ne plus verser leur contribution de 50 millions de dollars à l'Organisation des Nations unies pour le développement industriel.
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.