Les leçons de la crise financière de 1857

En 1857, cherchant des coupables à la crise, le New York Times recense les mètres de soie, de dentelles ou le nombre de paires de gants importés d'Europe pour compter les dollars que la galanterie des hommes et la coquetterie des femmes ont enlevés à l'Amérique. Qui aurait pu imaginer une telle situation ?Depuis 1849, l'or californien inonde les États-Unis. L'arrêt des exportations de blé ukrainien vers l'Europe, à cause de la guerre de Crimée, fait la richesse des fermiers du Middle-West. Chicago connaît un boom et inaugure son célèbre marché à terme, le Chicago Board of Trade (CBOT). Cet enrichissement favorise les importations de produits manufacturés européens. Le Vieux Continent connaît, lui aussi, des bouleversements, avec la construction de lignes de chemin de fer et la mobilisation de l'épargne par les premières grandes banques par actions. Le commerce est florissant, l'argent disponible et bon marché, le crédit se développe amplement. Ainsi, une banque anglaise avec un capital de 10.000 livres en doit 900.000. En comparaison, l'effet de levier de Lehman Brothers avant sa faillite le mois dernier semble raisonnable. Entre 1854 et 1856, la valeur des actions françaises progresse de 60 % pour se hisser sur un pic qui ne sera dépassé que vingt-trois ans plus tard.Le marché des céréales décroche.Mais le retour des blés d'Odessa conjugé à une bonne récolte en Europe retournent le marché des céréales. Les produits européens ne se vendent plus, entraînant la faillite de quelques importateurs américains suivie de celle de leurs banquiers. Le 24 août 1857, l'Ohio Life and Trust Company cesse ses paiements. Les défauts se succèdent rapidement et, le 13 octobre 1857, les banques subissent l'assaut des déposants new-yorkais. Elles paient pendant quelques heures à bureau ouvert mais, le soir, sur les 36 qui restent, seules 4 continuent à honorer leurs engagements. Elles conviennent alors de suspendre partiellement les paiements et les multiples billets continuent à circuler avec moins de 3 % de perte. Il faut remarquer que l'existence d'une " vraie monnaie " gagée sur l'or n'évite pas les crises économiques. Aussi, l'argent artificiellement bon marché émis par la Réserve fédérale n'est probablement pas le seul responsable de la situation actuelle.Le taux d'escompte grimpe.Toutefois, à la différence d'aujourd'hui, le mécanisme des prix joue à plein pour résorber la crise. En 1857, il est impossible de créer des liquidités pour les banques. En période difficile, ces dernières payent le prix pour leurs ressources et le répercutent sur leurs clients qui supportent plus ou moins bien l'impact. De fait, les banques et les entreprises les plus fragiles disparaissent rapidement. La montée du taux de l'escompte à 30 % voire 40 % et la baisse de plus de 40 % des titres cotés incitent les capitaux européens à se tourner vers les États-Unis. Les investissements français y doublent en 1857. L'or afflue si rapidement que, en janvier 1858, toutes les banques avaient repris leurs paiements.La crise de liquidité s'internationalise.La crise de liquidité traverse l'Atlantique avec la faillite d'exportateurs européens et la fuite des capitaux vers les États-Unis. Le 7 novembre, Vickers, l'une des plus anciennes et importantes banques anglaises, est acculée à la faillite, suivie de Denniston et Cy, Western Bank of Scotland le 9 novembre, City Bank of Glasgow le 11, puis la chute de la Northumberland and Durham le 26 et de Wolver- hampton Bank le lendemain. Pour retenir l'or, la Banque d'Angleterre relève son taux d'escompte à 12,5 % le 11 novembre 1857, contre 5,5 % en juillet. La crise financière anticipe et participe à la crise économique. Durant plusieurs mois, l'activité connaît un fort ralentissement, les prix du coton, du sucre, du café, du riz... baissent de 30 % à 50 %. À Manchester ou Birmingham, le temps de travail hebdomadaire est réduit à 36 heures.Déblocage du marché des emprunts. À Hambourg, craignant de ne pas être payés, les capitaines des navires refusent de décharger leur cargaison. Le sénat de la ville décide de débloquer 15 millions de marks pour aider les banques locales mais doit trouver des prêteurs. Vienne souscrit à l'emprunt par l'acheminement d'un train chargé d'argent (le " Silverzug ") le 8 décembre.En France, la crise se concentre sur des compagnies de chemins de fer en pleine expansion, mais menacées de faillite si elles ne parviennent pas à placer 300 millions en obligations. La Banque de France accepte de souscrire à la totalité des emprunts contre de solides garanties et une forte décote. La Banque de France est alors un établissement à but lucratif dont les actionnaires veillent à la rentabilité des opérations. Quelques mois plus tard, elle revendra ces titres avec un confortable profit.La baisse du prix des actifs et une élévation des taux d'intérêt permirent, non sans dégât cependant, le retour des capitaux attirés par des perspectives de profits à la hauteur des risques encourus. Aujourd'hui, les banques centrales servent de prêteur en premier ressort sur le marché monétaire, mais les investisseurs en dernier ressort manquent cruellement. Les contribuables de nombreux pays vont " investir " mais d'autres vrais investisseurs, comme Waren Buffett, seront indispensables pour trouver un nouvel équilibre.(*) Chercheur à l'université Paris V.
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