Citroën part à la reconquête de ses chevrons

Pour la première fois depuis 1987, le groupe PSA recapitalise sa filiale Citroën. Après 600 millions de francs il y a neuf ans, ce n'est pas moins de 2 milliards qui sont injectés cette fois par le holding pour désendetter enfin la marque aux chevrons. L'augmentation de capital a été - discrètement - entérinée le 18 juin par l'assemblée générale extraordinaire de Citroën. Cette bouffée d'oxygène n'est pas seulement financière, mais aussi psychologique. L'actionnaire veut faire passer un message rassurant aux cadres maison et au réseau : PSA croit dans l'avenir de Citroën. Résultat d'une histoire tumultueuse, de coups de génie (la Traction, la 2 CV, la DS) et d'échecs retentissants (la SM, le moteur rotatif, le projet roumain), de « coups de pub » magistraux et de catastrophes finan- cières, d'alliances avortées (avec Fiat entre 1968 et 1973) et de reprises (par Peugeot en 1976), la marque pâtit dans le public d'une image parfois brouillée. Et combien de fois les cadres, les dirigeants eux-mêmes, n'ont-ils pas aussi douté de la pérennité de la firme ? En assignant des objectifs de vente trop ambitieux, qui n'ont pu être atteints, Jacques Calvet, patron de PSA, n'a pas peu contribué à entretenir l'inquiétude. Certains concessionnaires - de plus en plus rares il est vrai - ne sont pas, aujourd'hui encore, complètement rassérénés. L'arrivée de la petite Saxo, dérivée d'une Peugeot 106, a réveillé le syndrome Talbot. Le lancement de la Talbot Samba - une Peugeot 104 allongée - au début des années 80 n'avait-il pas sonné le glas de la troisième marque du groupe PSA ? Pourtant, malgré les inquiétudes, aucun observateur sérieux ne pose plus, à présent, la question de la survie de Citroën, qui hantait encore les esprits il y a cinq ans à peine. Le groupe PSA a autant besoin de la marque aux chevrons, pour réaliser les économies d'échelle indispensables, que l'inverse. Citroën n'est pas tiré d'affaire pour autant. Le constructeur doit enfin gagner de l'argent durablement. Son objectif est clair : « Il faut autofinancer, et même au-delà, nos investissements », explique un cadre dirigeant. Endettée vis-à-vis du holding, qui a avancé depuis vingt ans les fonds indispensables à la restructuration et au renouvellement de la gamme, l'entreprise supporte des frais financiers élevés qui ont fait plonger, une fois encore, le résultat net en 1995. Cette année s'annonce encore « très difficile ». Certes, en exploitation, la société est bénéficiaire depuis 1994. Mais la marge opérationnelle atteint à peine 1 % du chiffre d'affaires. Or Citroën doit viser 3 % à 4 %. Au début des années 90, Citroën espérait éponger sa dette entre 1995 et 1997. Las. Les dernières projections faisaient état d'un remboursement vers... 2003-2004 ! D'où les 2 milliards de recapitalisation. Avec ce pactole, l'endettement zéro est désormais envisagé pour la fin du siècle. Allégé - partiellement - du fardeau, Citroën se doit d'afficher désormais des profits substantiels. « On ne peut pas revendiquer une plus grande indépendance pour Citroën sans générer et verser des dividendes. On ne peut pas être autonome en tendant la main. L'autonomie, ça se gagne », lâche un cadre du groupe. La situation de Citroën est aujourd'hui plus solide qu'elle ne l'a sans doute jamais été dans son passé mouvementé. « En 1979, j'ai trouvé un plan produits qui ne convenait pas à la marque, avec toujours un trou au milieu de la gamme, là où est le gros des clients. A l'époque, la qualité des véhicules n'était pas satisfaisante et les prix de revient en fabrication ne permettaient pas une rentabilité suffisante », se souvient Xavier Karcher, vice-PDG de la société. Longtemps pionnier, toujours à l'avant-garde de la technologie, Citroën a largement contribué à faire avancer l'automobile. Mais cette passion de l'innovation avait son revers : la fiabilité aléatoire des modèles - les premiers clients contribuaient à leur mise au point en cumulant les pannes -, les finitions légères, la complexité technique qui rendait l'entretien souvent dispendieux, les bizarreries de style qui séduisaient des « citroënnistes » de moins en moins nombreux et rebutaient tous les autres. Première phase du renouveau : la BX en 1982. « C'était un véhicule suffisamment Citroën pour fidéliser la clientèle habituelle, mais pas trop pour ne pas faire peur aux autres. Ce véhicule avait aussi l'avantage d'être très rentable. Pour la produire, on a fait une révolution culturelle à l'usine de Rennes. On peut dire que la BX est la première Citroën sans problèmes », assure Xavier Karcher. Seconde étape : la présentation de la petite AX en 1986, qui remplaçait à elle seule un bas de gamme disparate, composé de la 2 CV et des LNA-Visa, deux modèles bâtards hâtivement extrapolés de la Peugeot 104. Troisième date clé : la ZX en 1991. Pour la pre- mière fois de son histoire, Citroën disposait d'une gamme complète. La société a malheureusement pâ- ti, entre les deux, d'un ratage : la XM en 1989. Partie commercialement sur les chapeaux de roue, cette superbe berline de haut de gamme a souffert d'une multitude de problè- mes, notamment électriques, qui ont brisé irrémédiablement sa car- rière. « Il a fallu deux ans pour y remédier », avoue-t-on à Neuilly, siège du constructeur. Mais la Citroën la plus réussie de ces dernières années est sans doute la Xantia, de gamme moyenne, sortie en 1993, l'une des meilleures voitures de sa catégorie, qui tranche sur la banalité esthétique de la ZX. Elle inaugure un nouveau style Citroën, personnel mais élégant et discret, dont devrait largement s'inspirer la prochaine remplaçante de la ZX. « La Xantia est le modèle Citroën à meilleure image auprès du public », assure Claude Satinet, directeur général adjoint de la firme, en charge notamment du commerce. Le constructeur au double chevron dispose par ailleurs aujourd'hui d'une large gamme d'utilitaires « nettement plus rentables que les voitures particulières », selon un expert. Enfin dotée d'une gamme moderne et étendue de véhicules généralement réussis, Citroën n'en souffre pas moins d'un manque d'identité. Développés en puisant dans la banque d'organes du groupe, les modèles les plus récents ont du mal à se distinguer de ceux de Peugeot. Exemple le plus criant : la Saxo, développée au détriment d'un projet beaucoup plus innovant, mais condamné en raison d'impératifs budgétaires. La marque doit donc naviguer entre des impératifs de coûts - trop négligés dans le passé - qui poussent à la standardisation des véhicules au sein du groupe, l'obligation de rassurer le client par des formes moins osées que naguère, et la nécessité de se démarquer. Exercice difficile : « On n'a pas les moyens de faire des voitures farfelues que tout le monde rejette », lâche Luc Epron, directeur général adjoint de la société, particulièrement chargé du marketing. D'ailleurs, la sage - voire banale - ZX est, avec la Xantia, le modèle qui rapporte le plus d'argent au constructeur. Citroën doit donc offrir un coeur de gamme relativement sage, mais «avec des produits visuellement plus attractifs, comme la Xantia », selon Claude Satinet. « Les clients deviennent de plus en plus conformistes. Les gens ne veulent plus trop montrer leur différence. Citroën doit concevoir des produits qui aillent le plus loin possible dans ce qui est acceptable par l'acheteur. La marge de manoeuvre est étroite », renchérit prudemment Xavier Karcher. Pour le style intérieur, Citroën est aussi contraint à beaucoup de prudence pour faire oublier les planches de bord tarabiscotes et de piètre qualité des GS, CX et des premières BX. Pas question non plus de forcer sur l'innovation technologique, coûteuse et dangereuse en termes de qualité. « Le public devient blasé. Ce n'est plus un terrain très porteur », remarque Luc Epron. Alors, quelles peuvent être les spécificités de Citroën ? « La politique est d'avoir des moteurs, des trains roulants, des boîtes de vitesses et des éléments que le client ne voit pas (systèmes de climatisation, structures des sièges, autoradios) communs aux deux marques du groupe PSA. En matière de qualité, de sécurité, de service, Peugeot et Citroën se rejoignent. D'autres aspects, en revanche, peuvent être différenciés. Nous essayons, par exemple, de gommer la route sur les Citroën. Chez Peugeot, on met plutôt l'accent sur le plaisir de conduite ; on sent la route », explique Jean-Marc Nicolle, directeur des plans produits du groupe PSA. Pour différencier les deux marques, on verra de plus en plus de lancements décalés les uns par rapport aux autres - Citroën étrenne géné- ralement les nouvelles bases (AX, XM, ZX) - et des variantes qui n'auront pas leur pendant chez l'autre marque. C'est déjà le cas de la XM break chez Citroën, de la 306 cabriolet chez Peugeot. Enfin, Citroën pourra lancer des « véhicules niches » spécifiques. Sur la base du nouvel utilitaire Berlingo, la marque aux chevrons présentera ainsi, au prochain Mondial de l'automobile, un véhicule « ludique à prix modéré ». On évoque ici et là une réplique moderne de la Méhari, un engin de loisirs extrapolé de la 2 CV et présenté en 1968. Le « véhicule concept » monocorps Xanae, présenté en 1994, pourrait être produit en série d'ici à l'an 2000, sous une forme assagie. Citroën travaille aussi sur une minivoiture originale. Mais « j'imagine mal une voiture à très bas prix. La 2 CV n'était d'ailleurs pas, en son temps, une voiture bon marché », affirme Luc Epron. Cette recherche identitaire vient s'inscrire dans un mouvement de fond qui a vu Citroën restructurer ses bureaux d'études et ses usines. Une condition sine qua non de sa sur- vie ! Les directions des études et des méthodes de Peugeot et de Citroën ont fusionné en 1991, pour raccourcir les délais, et donc les coûts, de gestation des nouveaux modèles. Le successeur de la ZX aura été développé en cent quatre- vingt-seize semaines, contre deux cent soixante pour la Xantia. Les véhicules, dont l'étude démarre actuellement, seront conçus en cent cinquante-six semaines seulement. Au sein des études, coexistent deux directions de synthèse : l'une Citroën, l'autre Peugeot. Selon la marque, la direction concernée suit le véhicule du premier coup de crayon au lancement. « Les Citroën sont étudiées par des gens de Citroën », assure Xavier Karcher. Dans les usines, les plans Mercure, puis Antares (voir encadré ci-dessus) ont permis de réaliser les sauts de productivité exigés par Jacques Calvet. But : mettre chaque opérateur en situation d'assurer la qualité à son poste de travail, réduire le coût des matières et des pièces, assurer la flexibilité des installations. La flexibilité permet de mieux gérer les soubresauts de production, mais aussi de réduire les coûts des investissements pour les nouveaux modèles. L'outillage existant peut être en partie reconduit. C'est indispensable pour abaisser les prix des voitures et en multiplier les dérivés, pour occuper tous les segments du marché. Centrée sur le développement et l'industrialisation des véhicules, Citroën se préoccupe aussi de la qualité de son réseau commercial, notamment en France, où sa réputation est médiocre. L'amélioration du service après-vente - meilleure formation du personnel, multiplication des points de service rapides... - commence à porter ses fruits. Mais, sur le plan commercial, Citroën souffre d'une faiblesse majeure : ses ventes hors d'Europe de l'Ouest représentaient à peine 7,5 % de ses livraisons totales en 1995, contre 15,5 % pour Peugeot. L'implantation industrielle de la marque en Chine, avec des capacités de 150.000 voitures par an, sa récente percée en Malaisie, où l'AX est désormais fabriquée par Proton, et l'offensive en Amérique latine devraient permettre au constructeur de renouer avec son image mondiale, véhiculée dans les années 20 et 30 par la Croisière noire et la Croisière jaune. ALAIN-GABRIEL VERDEVOYE
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