Serge Tchuruk n'a pas gagné son pari sur Alcatel-Lucent

En juillet 2006 dans les colonnes de La Tribune, Serge Tchuruk, alors PDG d'Alcatel, assurait que la fusion avec l'américain Lucent serait " relutive à brève échéance de façon importante pour Alcatel et ses actionnaires ". Dix-huit mois plus tard, 1 + 1 ne fait toujours pas 2. Avant la fusion, le chiffre d'affaires cumulé des deux équipementiers se montait à 21 milliards d'euros, le bénéfice net à 1,9 milliard d'euros et la capitalisation boursière à 30,3 milliards d'euros. En 2007, le nouvel ensemble devrait avoir réalisé 17,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires, enregistré 798,5 millions d'euros de pertes et sa capitalisation boursière est passée hier en dessous des 10 milliards d'euros.Rendre Serge Tchuruk seul responsable de cette situation serait injuste. Le rapprochement de deux entreprises de taille similaire est toujours difficile. Celui qui est aujourd'hui président du conseil d'administration d'Alcatel-Lucent expliquait en septembre 2006 que " la période délicate d'intégration des deux entreprises devrait durer trois ans ". De plus, depuis 2006, le secteur des équipementiers télécoms est particulièrement chahuté, marqué par une baisse sensible des coûts et des commandes. Mais si ses concurrents n'ont pas été épargnés - à l'exception notable de Cisco dont la capitalisation boursière est désormais 10 fois supérieure à celle d'Alcatel-Lucent -, aucun ne paraît avoir souffert autant que l'équipementier franco-américain.Aujourd'hui, alors que s'ouvre le conseil d'administration qui examinera les résultats annuels publiés demain, tous les professionnels se demandent quand Alcatel-Lucent va parvenir à redémarrer. Mais rares sont ceux qui estiment que Serge Tchuruk peut être l'homme de ce renouveau : " On se demande jusqu'à quand il va s'accrocher ", déplorent certains collaborateurs.DESACCORDS FREQUENTS AVEC PATRICIA RUSSOSi Serge Tchuruk n'a plus de fonctions opérationnelles dans l'entreprise, il continue, selon des sources internes, à avoir un poids déterminant dans les décisions finales. Ses désaccords fréquents avec les équipes américaines et notamment avec la directrice générale d'Alcatel-Lucent, Patricia Russo, seraient même l'une des causes des difficultés d'intégration des deux groupes. En tout cas, la longue liste de dirigeants remerciés depuis un an - Jean-Pascal Beaufret, directeur financier, Christian Reinaudo, directeur de la région Europe et Nord, John Meyer, patron des services, Jean-Christophe Giroux, PDG d'Alcatel-Lucent France - laisse penser que l'ambiance n'est pas des plus sereines au sein du management franco-américain.Serge Tchuruk n'a pas la réputation d'un patron " facile ". Entré chez Alcatel-Alsthom en 1995 pour remettre de l'ordre dans l'entreprise, l'ancien dirigeant de Rhône-Poulenc et de Total a mis toute son énergie pour remodeler son groupe afin d'en faire un champion mondial des télécoms. Une stratégie qui s'est avérée payante jusqu'à l'éclatement de la bulle Internet. Après cette période, l'équipementier a connu quelques hauts, et surtout beaucoup de bas, qui ont contribué à ternir l'image de son dirigeant. Donné plusieurs fois partant et après avoir usé un certain nombre de successeurs potentiels, le patron d'Alcatel pouvait espérer quitter l'entreprise la tête haute. La fusion avec Lucent devait lui offrir cette opportunité car, au final, cette opération avait du sens. La plupart des experts notent que, dans la conjoncture actuelle, Alcatel n'aurait pu continuer tout seul. Lucent lui a ouvert les portes de l'Amérique du Nord et a permis au nouveau groupe de se consolider face à la concurrence européenne (Ericsson, Nokia-Siemens) et chinoise (Huawei, ZTE).ACTIONNAIRES ET SALARIES IMPATIENTSMais, les effets positifs du rapprochement tardent à se faire sentir. L'impatience gagne chez les actionnaires comme chez les salariés qui ont chèrement payé la stratégie de leur patron. Le groupe, qui a annoncé 4.000 suppressions d'emplois (dont 400 en France) en plus des 12.500 prévus l'an dernier, espère désormais être en ordre de marche. Le consensus des analystes financiers pour le dernier trimestre 2007 semble aller dans ce sens, tablant surun chiffre d'affaires en hausse de 10,9 % et un résultat opérationnel positif de 245 millions d'euros. Serge Tchuruk profitera-t-il de cette accalmie pour tirer sa révérence ? Pas encore si l'on en croit les rumeurs internes. Néanmoins, le tandem qu'il forme avec Patricia Russo n'apparaît plus comme le ticket gagnant pour un groupe qui conserve de grandes ambitions.
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.