Iqbal Quadir fait du mobile une arme contre la pauvreté

J'avais le rêve un peu fou de donner accès au téléphone aux 100 millions d'habitants des zones rurales du Bangladesh. Mon rêve est devenu réalité ", se réjouit Iqbal Quadir. Ce Bangladais naturalisé américain, directeur d'un programme de recherche au prestigieux MIT (Massachusetts Institute of Technology) de Boston, était l'un des intervenants de marque invités par l'association GSM au Congrès mondial du mobile de Barcelone, la semaine dernière. Il y a raconté l'histoire de Grameen Phone, l'une des plus incroyables success stories des télécoms dans les pays émergents, et défendu sa philosophie : " Le téléphone est une arme contre la pauvreté. "C'est à New York, en 1993, alors qu'il travaille dans une banque d'investissement à Wall Street, que s'opère un déclic. Une panne informatique lui rappelle comment, enfant, dans le Bangladesh rural en guerre, il avait perdu une journée entière à aller chercher des médicaments auprès de l'unique médecin, finalement absent. " Dans les pays pauvres, il y a énormément de gâchis. On perd beaucoup de temps et d'opportunités faute d'infrastructures. Être connecté permet d'être productif ", observe-t-il. " LE MOBILE EST COMME UNE VACHE"À l'époque, le Bangladesh compte un téléphone pour 500 habitants et aucun dans les campagnes. Son projet de connecter au mobile ce pays parmi les plus peuplés de la planète - le septième au rang mondial avec 150 millions d'habitants - mais aussi les plus pauvres paraît insensé à ses interlocuteurs. Voire superflu face aux besoins de première nécessité. Iqbal Quadir mène un long processus de réflexion et comprend qu'il lui faut s'appuyer sur une infrastructure existante : la Grameen Ban k de Muhammad Yunus, le Prix Nobel de la paix 2006, spécialiste du microcrédit aux populations rurales. Il convainc Grameen Bank mais aussi l'opérateur norvégien Telenor, pour son savoir-faire, de se lancer dans l'aventure, ainsi que plusieurs investisseurs internationaux. L'argent levé servira à financer le réseau, qui coûtera au total 1,6 milliard de dollars.Cet improbable attelage lance en 1996 Grameen Phone, qui ouvre commercialement l'année suivante. Partant du principe que " le mobile est comme une vache ", le programme Village Phone permet à des paysannes d'emprunter de quoi acheter un téléphone qui devient une source de recettes par la vente de communications aux autres villageois. Elles sont plus de 280.000 Grameen ladies à jouer le rôle d'opérateur local. " Nous ne faisons pas de l'argent sur les pauvres mais avec les pauvres, comme la Grameen Bank. Et le téléphone peut apporter de la valeur économique et sociale ", fait valoir Iqbal Quadir.16,5 MILLIONS D'ABONNESEn dix ans, Grameen Phone atteint les 10 millions d'abonnés. Aujourd'hui, l'opérateur couvre 98 % de la population et compte 16,5 millions d'abonnés, dont 3 millions d'utilisateurs du haut débit (Edge, GPRS). Le pionnier bangladais contrôle 48 % d'un marché désormais très concurrentiel mais au potentiel encore vaste - le taux de pénétration est inférieur à 20 %. Le projet fou d'Iqbal Quadir est devenu la première entreprise du pays et son plus gros contribuable. En 2007, l'opérateur a réalisé un chiffre d'affaires de 585 millions d'euros et une marge brute d'exploitation de 46 %. Son introduction en Bourse est même prévue d'ici au mois de juin : une valorisation de 3,5 milliards de dollars est évoquée, ce qui en ferait la plus grosse opération de la place de Dacca.Fier d'avoir prouvé qu'il existait un marché pour les télécoms dans ce pays si pauvre, le fondateur de Grameen Phone a laissé à d'autres le soin de la développer : " J'avais accompli mon travail. Diriger l'entreprise ne m'intéressait pas. " Il a quitté le conseil d'administration en 1999 puis vendu ses parts en 2004 tout en développant des projets en partenariat depuis le MIT. Il est à l'origine avec son frère Kamal du site bangladais d'enchères en ligne et sur mobile CellBazaar qui vient de recevoir au salon de Barcelone le prix du " meilleur usage du mobile pour le développement économique et social ".Après l'accès au téléphone, Iqbal Quadir a l'ambition de répliquer son modèle inhabituel dans l'électricité. En association avec Dean Kamen, l'inventeur du scooter debout Segway, il a monté un projet de générateur alimenté par le fumier de bétail et financé par le microcrédit, en cours d'expérimentation au Bangladesh. " Si vous apportez l'électricité dans un village, vous pouvez y créer des emplois. L'électricité, c'est la moitié des problèmes ", estime-t-il.ParcoursNé en 1958 au Bangladesh, Iqbal Quadir quitte son pays pour les États-Unis en 1976. Après un MBA à la Wharton School, il devient consultant de la Banque mondiale puis travaille dans la banque d'investissement. En 1993, il démissionne d'Atrium Capital pour fonder Grameen Phone, qu'il quitte en 1999. Il rejoint le MIT où il dirige le Programme pour le développement et l'entrepreneuriat.
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