Bill Gates : " Il n'y aura pas de pénurie dans le besoin d'innovation "

Comment définissez-vous désormais le métier de Microsoft, alors que vous êtes dans les logiciels grand public, les jeux vidéo, les systèmes complexes pour les entreprises et même la publicité numérique ?C'est probablement plus facile à faire pour Microsoft que pour d'autres, car nous avons été fondés sur une vision centrale du logiciel, ce que j'appelle " Magic of Software ". Et tout ce que nous avons fait depuis découle de cette vision. Derrière les logiciels pour la maison, les jeux vidéo ou les bases de données pour entreprises et les systèmes de sécurité, on retrouve une même préoccupation : recruter les meilleurs talents, produire la meilleure recherche dans le domaine des logiciels, bref, avoir la meilleure organisation pour rassembler autour de nos solutions un écosystème de partenaires et satisfaire les utilisateurs de logiciels. Nous avons parfois eu à apprendre des choses aux frontières du logiciel, comme les jeux vidéo où on a dû fabriquer les consoles. Même la publicité est une affaire de logiciel pour permettre aux acheteurs et aux vendeurs de se rencontrer. Le logiciel est toujours intervenu dans la photographie, la musique ou la télévision et même le commerce, mais aujourd'hui on dit que l'avenir de tous ces services dépend du logiciel. Nous créons donc des plates-formes logicielles pour les gens qui travaillent dans ces domaines.Est-ce possible d'être bon partout ?Nous avons plusieurs niveaux de succès. Il est des domaines où nous avons des parts de marché égales à zéro, et d'autres où elles sont... sensiblement au-dessus de zéro [rire, Ndlr]. Si la question est de savoir si nous réussissons dans tout ce que nous faisons, la réponse est non. Les marchés sont très compétitifs, mais rien n'est figé. Par exemple nous avons débuté il y a dix ans dans les systèmes de télévision sur Internet (IPTV), mais le véritable succès ne se mesure qu'aujourd'hui. Dans les Tablet PC [mini-ordinateurs dotés d'un stylet, Ndlr], auxquels je crois profondément, le succès n'est pas encore là. Nous savons être patients et écouter les consommateurs, quitte à revenir en arrière et revoir nosproduits.Tout le monde fait des logiciels aujourd'hui, dans l'industrie des télécoms, l'automobile ou la distribution. Comment Microsoft pourra-t-il continuer à faire la différence ?Regardez l'industrie automobile. Ils n'ont aucune envie d'écrire les logiciels de tests ou de bâtir les plates-formes informatiques de base. Ils se tournent de plus en plus vers nous parce que leurs besoins viennent par-dessus nos logiciels. Nous avons ainsi des partenariats avec Fiat ou Ford. Nous leur fournissons le socle de leur système de tests et ils développent ensuite les spécificités liées à tel ou tel véhicule. Vous n'auriez pas imaginé Microsoft vendre des logiciels pour les voitures, mais maintenant il y en a beaucoup avec les systèmes embarqués, comme les systèmes de navigation. C'est comme le téléphone. Vous avez maintenant avec Windows Mobile des cartes en 3D, de la reconnaissance vocale, des systèmes de paiement, etc. Notre système de base devrait équiper cette année 20 millions de terminaux contre 10 millions l'an dernier.Le logiciel ne risque-t-il pas de devenir un produit de base, sans valeur ajoutée ?Non. Ce serait comme dire que les mots deviendront des produits sans valeur ajoutée. Le logiciel permet de telles innovations. Par exemple nous travaillons sur des logiciels pour des robots pour lequel le marché n'existe pas aujourd'hui et n'existera pas l'année prochaine. L'important n'est pas de savoir quand le marché sera là, mais d'être prêt en travaillant avec les meilleures universités du monde, y compris en France. Vous savez les fabricants de matériels font aussi des progrès énormes, que ce soit dans la capacité des puces, le débit sur Internet, la haute définition. Il ne risque pas d'y avoir de pénurie dans le besoin d'innovation pour améliorer la vie chez soi ou au travail, pour un environnement mobile, bref pour tous les rêves pour lesquels le logiciel est essentiel.Votre division loisirs a publié ses premiers bénéfices en 2007. Est-ce normal pour un groupe de perdre de l'argent pendant des années, juste pour prendre pied sur un marché existant ?Microsoft est très fier, lorsqu'il décide d'aller sur un marché, de s'engager dans une optique à long terme. Et c'est pour ça que nous sommes leaders alors que d'autres ont abandonné. Dans les jeux vidéo par exemple, nous avons vu que c'était quelque chose qui s'imposerait dans le salon comme le décodeur et le PC. Et c'est ce qui s'est passé. Pour la première Xbox, nous avons beaucoup appris. Maintenant, nous avons une machine haut de gamme qui se vend très bien et nous faisons quelques bénéfices. À la surprise générale, nous sommes devant Sony. Et Nintendo a une console bas de gamme qui marche bien aussi. On constate que nos investissements sont payants.Pensez-vous qu'il faut changer les règles sur les brevets alors que les procès se multiplient entre grands groupes ?Le système des brevets remonte aux origines des Etats-Unis, quand Thomas Jefferson a dit que les inventeurs devaient être reconnus. Cela a été un formidable moteur pour l'innovation, par exemple dans la pharmacie. La révolution des technologies de l'information n'aurait pas eu lieu sans brevets. Bien sûr, nous pouvons redéfinir le système des brevets, qui est très différent selon les pays. Mais en gardant à l'esprit que c'est une très puissante incitation à l'innovation. Il suffit de voir quelles ont été les innovations de la médecine russe, sans brevet !Comment l'innovation technologique peut-elle relancer la croissance mondiale ?Les technologies ont été des facteurs clés pour doper la croissance mondiale. Nous pouvons nous connecter comme les chercheurs autour du monde, les chaînes logistiques sont plus efficaces, nous avons une meilleure connaissance sur les désirs des clients, etc. Mais la technologie est encore loin d'avoir réalisé le rêve de voir tous les salariés disposer de toutes les informations pertinentes pour prendre les bonnes décisions. Nous investissons beaucoup en outils de communication, en organisation du travail, en analyse décisionnelle pour rendre le travailleur plus productif. L'un des plus intéressants sur le sujet est Bernard Charlès, le PDG de Dassault Systèmes. C'est l'un de nos grands partenaires mais aussi une personne capable de montrer l'impact de l'innovation numérique sur tout un tas d'industries, pas seulement la finance mais aussi les voitures, les avions et le tourisme. Et si vous me trouvez optimiste sur l'économie - pas nécessairement à court terme pour lequel je n'ai pas d'expertise - mais à long terme, c'est parce que les gens sous-estiment les progrès à venir, particulièrement dans le logiciel.Comment regardez-vous les pays émergents dans les technologies de l'information, comme des nouveaux marchés et des nouveaux concurrents ?Je pense que de grands concurrents vont émerger dans ces pays, et je l'espère. Mais l'Inde par exemple est plus sur la partie services informatiques, ce qui n'est pas notre métier. L'un des points saillants des résultats trimestriels que nous venons de publier est que, si nous avons une bonne croissance partout, la croissance la plus étonnante vient des pays comme le Brésil, la Russie, l'Inde ou la Chine où nos ventes ont progressé de 65 % sur un an. Grâce à la croissance de ces marchés, mais aussi au recul du piratage.Y a-t-il des liens entre votre fondation caritative et Microsoft ?Oui et non. Les deux sont très indépendants dans leurs activités, mais ont partagé quelques projets pour développer l'accès aux ordinateurs et aux bibliothèques par exemple. Les deux s'intéressent aux besoins des plus nécessiteux dans le monde. Pour Microsoft, c'est à travers son expertise sur le logiciel et l'Internet. La fondation est plus axée sur la médecine et la santé.Le rôle croissant des fondations privées comme la vôtre ne risque-t-il pas d'inciter les gouvernementsà investir moins dans la santé et l'éducation ?Non, pas du tout. En fait, je suis très fier qu'en donnant plus de visibilité aux problèmes des pays pauvres avec le sida, la malaria ou la pauvreté, les réunions du G8 se sont emparées de ces sujets. Le chanteur Bono a fait le Live 8 [concerts pour interpeller le G8, Ndlr]. Le problème avec l'Afrique, c'est que c'est facile à oublier. Or, il y a de bonnes raisons d'espérer, avec des choses qui marchent. La France a été à l'initiative d'Unitaid [médicaments à prix réduits pour le traitement du sida et du paludisme pour les pays en développement, Ndlr] qui est quelque chose de fantastique. D'autres pays se sont joints au mouvement. La philanthropie peut aider comme pour la découverte de médicaments ou des projets pilotes. Mais ce sont toujours les gouvernements qui doivent être au centre des politiques de santé et d'éducation et ils le font.Quelles sont vos relations avec les gouvernements des pays dans lesquels votre fondation intervient ?Cela varie beaucoup. Prenez la vaccination qui est l'une des activités principales de la fondation. Dans beaucoup de pays, le gouvernement central fait du très bon travail. Dans d'autres non, et nous trouvons des organisations non gouvernementales. Il y a un groupe qui s'appelle la Globale Alliance for Vaccines (Gavi) pour lequel la France a bien contribué. Ma fondation est actuellement la plus grosse contributrice. La Grande-Bretagne contribue également.Vous comptez rester impliqué dans plusieurs projets de Microsoft après l'abandon de toute fonction exécutive en juillet prochain. Lesquels ?Les trois projets les plus probables sur lesquels je resterai sont l'avenir d'Office [la suite logicielle qui comprend Word, Excel, etc., Ndlr], larecherche sur Internet, et les interfaces naturelles comme la voix et le toucher. Des domaines pour lesquels je me suis toujours passionné. Et, bien sûr, à chaque fois que je me préoccuperai de question de santé, notamment dans les pays pauvres, ou d'éducation, je resterai connecté avec Microsoft. Parce que les logiciels peuvent être utiles dans le diagnostic médical, ou dans les téléphones mobiles pour les micro-paiements.Microsoft veut montrer les failles de GoogleDans sa bataille dans les services sur Internet, notamment face à Google, Microsoft continue de perdre de l'argent. Pas de quoi inquiéter Bill Gates. " Si nous n'avions pas l'ambition de faire un moteur de recherche meilleur que Google, il serait facile de gagner de l'argent, justifie-t-il. Nous avons décidé de rechercher l'excellence et de surprendre les gens en leur montrant à quel point la recherche sur Internet n'est pas aujourd'hui assez satisfaisante. " Mais la partie est loin d'être gagnée, notamment en France, où le patron du géant des logiciels reconnaît à Google " une part de marché extraordinairement élevée ". Afin d'inverser la tendance, Bill Gates, pour une fois en situation de challenger, explique : " C'est à nous de montrer que nous avons les talents et la vision long terme pour y parvenir. "Et pourquoi pas en bousculantle modèle économique. " Nous pensons que les utilisateurs d'un moteur de recherche devraient être payés pour leur loyauté, alors qu'ils n'ont rien aujourd'hui, faute de concurrence. " Microsoft s'affiche serein sur le long terme. Côté régulation internationale d'Internet, circulez il n'y a rienà voir ! " Internet fonctionne superbement bien à l'échelle mondiale, ce n'est pas le sujet, tranche-t-il. En revanche,sur les questions importantes concernant les droits d'auteur,la cybercriminalité,la pornographie, la liberté politique, etc., cela relèvedu niveau politique local. "Bill Gates invité de l'émission " La Tribune BFM "Le président de Microsoft est l'invité exceptionnelde la nouvelle émission " La Tribune BFM " qui sera diffusée dimanche 3 février à 18 heures sur la chaîne d'information BFMTV et la radio BFM (contrôlées par Alain Weill, le futur propriétaire de "La Tribune") en partenariat avec Dailymotion. Répondant aux questions de Ruth Elkrieff, Hedwige Chevrillon et Olivier Mazerolle, Bill Gates s'explique sur sa nouvelle vie qui débuteraen juillet avec son départ de toute fonction exécutivede Microsoft pour s'occuper de la fondation qu'il a créée avec sa femme : " Plutôt que travailler à temps partiel pour ma fondation et à temps plein chez Microsoft,je ferai le contraire, à plein temps dans la fondationet à temps partiel chez Microsoft... J'aime les deux. "À propos de la comparaison avec Apple dont le succès de l'iPod serait né d'une stratégie marketing, il rétorque : " Le plus important, c'est de proposer de bons produits... Je n'ai souvenir d'aucun produit à succès pour lequel le marketing ait été le point déterminant. " Le patron de Microsoft se montre très prudent sur l'engouement autour des sites communautaires. " Est-ce que ça va continuer ? Est-ce qu'il y a là un business model ? Quand on surfe sur un réseau social, est-ce qu'on accepte de recevoir de la publicité ou pas ? Au final, il y a beaucoup d'inconnues. " Des questions qui n'empêchent pas le deuxième homme le plus riche du monde d'y aller : " C'est un domaine où Microsoft se développe par lui-même, tout en travaillant avec des partenaires comme Facebook. " Sur BFMTV, il s'explique même sur une ressemblance qu'on lui prête avec Harry Potter...
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.