Yann Algan et Pierre Cahuc : " La défiance, un mal typiquement français "

En moins de 100 pages, deux chercheurs en économie, Yann Algan et Pierre Cahuc, réussissent la gageure dans un opuscule intitulé la Société de défiance, d'analyser les maux qui minent la société française. Leur thèse, originale et instructive, réside dans le lien existant entre défiance généralisée et incivisme, véritable cercle vicieux qui explique l'allergie proverbiale à toute réforme qui caractérise la France.Pour ce faire, Algan et Cahuc s'appuient sur un grand nombre d'enquêtes internationales, tel le World Value Survey, menées depuis des décennies auprès des milliers de personnes. Les graphiques ne doivent pas rebuter les lecteurs car ils sont riches d'enseignement et les commentaires des auteurs en rendent la lecture éclairante.Il en ressort que la France se distingue de nombre d'autres pays développés par un manque de confiance généralisé qui se traduit par une méfiance à l'égard de la justice, du Parlement ou encore des syndicats. Cette défiance, qui, constatent les auteurs, s'est installée durablement depuis la Seconde Guerre mondiale (défaite, occupation, collaboration...), mais a été en partie masquée par le succès des Trente Glorieuses, a pour corollaire un incivisme élevé.PEUR DE LA CONCURRENCEAinsi, le Français, plus que les citoyens d'autres pays, trouve normal de resquiller, de ne pas payer l'impôt, de gruger l'État... Cette situation découle paradoxalement du fonctionnement de l'État français et de son fameux modèle social. En effet, ce dernier repose en grande part sur des corporatismes qui segmentent la société, avec pour conséquence de miner la solidarité, chacun tâchant d'obtenir le maximum de droits liés à son statut, tandis que l'intervention tatillonne de l'État, pour réguler la vie du citoyen dans tous ses détails, " vide le dialogue social de son contenu ". Cette absence de confiance est en effet l'une des raisons de la peur de toute concurrence, l'un des moteurs de toute société marchande, qui alimente les demandes protectionnistes de l'État qui, en retour, créent des rentes de situation et la corruption.Ainsi se comprend mieux l'aversion d'une majorité des Français - leur antilibéralisme - pour le marché et les échanges dont " le bon fonctionnement requiert une confiance mutuelle et le respect des règles ", rappellent les auteurs. Pour autant, ces derniers n'en restent pas au seul constat, mais tracent quelques pistes pour sortir de ce cercle vicieux et coûteux qui n'a rien d'irrémédiable." La Société de défiance ", par Yann Algan et Pierre Cahuc, éditions ENS de la Rue d'Ulm, 5 euros.
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