Comment les mafias profitent de la jungle urbaine

"Mafias" et petits trafiquants sont classés parmi les bénéficiaires des émeutes qui secouent les banlieues depuis une semaine. Si la police n'assurait pas "l'ordre de la République", "quel ordre lui succéderait ? Celui des mafias ou celui des intégristes", écrit Nicolas Sarkozy dans le Monde daté des 6 et 7 novembre. Yves Bot, procureur général de Paris, lui, a accusé, samedi, des "bandes organisées" de susciter les violences. Bruno Beschizza, secrétaire général de Synergie, second syndicat d'officiers de police, insiste : les violences urbaines sont "une forme de terrorisme urbain mené par une minorité de caïds qui ont un intérêt financier". Parmi les quelque 800 personnes interpellées depuis le 27 octobre, date du début des émeutes, un nombre important est connu des services de police.Trafics en tout genre. Les premiers éléments qui remontent du terrain semblent ainsi confirmer les analyses de fond menées depuis plus de dix ans. Ainsi, les "mafieux", sans forcément diriger les violences urbaines, surfent sur les révoltes nées du chômage et de l'absence d'espoir pour installer une véritable économie souterraine. Elle prend des formes variées : revente de voitures, de vêtements et de téléviseurs volés, ateliers clandestins et de contrefaçons, travail au noir et blanchiment, trafics en tout genre et surtout de drogue.Au total, l'économie souterraine, qui ne trouve pas sa seule source dans les banlieues, représenterait entre 9 % et 14 % du PIB français, selon Eurostat, l'institut statistique européen. Les délinquants en retirent de considérables bénéfices.Pour les conserver et les accroître, ces caïds utilisent des jeunes sans espoir pour chasser des quartiers les institutions étatiques. Ces derniers jours, des commissariats, des écoles, des centres culturels, des pompiers et des médecins ont été attaqués. Les émeutes "sont beaucoup moins motivées par une juste révolte contre la violence institutionnelle [...] que par un ancrage dans les activités délictueuses [...]. Plus le phénomène de drogue prend des proportions inquiétantes, plus les "jeunes" durcissent leurs attitudes à l'encontre de l'institution policière, organisme menaçant qu'il faut tenir éloigné du territoire pour des raisons mercantiles", indiquait, dès 1997, une note de la section "villes et banlieues" de la Direction centrale des renseignements généraux.Inversion des valeurs. Depuis, rien ne semble avoir changé. À l'abri des regards, le calme s'installe pour ne pas déranger les trafics. Les quartiers les plus durs de la France des banlieues, les plus touchés par la misère, dans les Yvelines ou le Rhône, restent pour l'instant à l'écart des troubles. Et pour cause. Ils ont été sanctuarisés. Cette économie informelle irrigue financièrement les banlieues. Les habitants de ces quartiers achètent à bas prix aux trafiquants de quoi vivre. Les études sociologiques décrivent le client des trafiquants comme un homme jeune, proche des délinquants. Il habite dans leur quartier et les connaît de longue date. Cet acheteur opère sans même s'en rendre compte un glissement psychologique, une inversion des valeurs. Il ne considère pas l'acquisition de drogue ou de biens volés comme un délit. Dans ces quartiers de relégation, parfois 50 % de la population en âge de travailler est au chômage. Certains n'ont jamais occupé un emploi. Les jeunes de moins de vingt-cinq ans ne peuvent accéder aux aides sociales. Ils trouvent auprès des délinquants un travail au noir pour camoufler une voiture volée, une prime pour guetter l'arrivée d'une bande concurrente.En vingt ans, des quartiers entiers ont été ainsi gangrenées par l'économie informelle. À tel point que certains sociologues y voient le dernier filet de secours pour éviter que les cités ne sombrent dans le chaos. Mais aujourd'hui, seul le matelas des dispositifs d'aides et l'action des travailleurs sociaux permettent encore d'empêcher le glissement du plus grand nombre vers ces réseaux mafieux qui se nourrissent du chômage et de la misère.Pascal Jungh
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