Qui va payer vingt ans de laxisme ?

Plus de vingt ans après les premières alertes des scientifiques sur les dangers de l'amiante, la France interdit les produits contenant cette fibre minérale qui pourrait être, selon l'Inserm, à l'origine cette année de 1.950 décès par cancer de la plèvre ou du pou- mon. Reste maintenant à régler la question du déflocage (retrait de l'amiante des murs et des plafonds) des immeubles publics et privés, ainsi que le problème de l'indemnisation des victimes, qui est en passe de devenir une véritable « patate chaude » entre les assureurs et la Sécurité sociale. Car l'interdiction décrétée par Jacques Barrot et Hervé Gaymard ne va malheureusement pas stopper l'épidémie. Selon les experts scientifiques, l'inhalation d'amiante pourrait à terme faire 10.000 victimes par an dans les prochaines décennies. Le 28 septembre, Elisabeth Hubert, alors ministre de la Santé, avait fait sensation en annonçant que le nettoyage de tous les bâtiments collectifs contaminés par l'amiante coûterait 30 milliards de francs. Ce chiffre, pourtant considérable, est jugé « farfelu » par les sociétés d'assurance, qui tablent, elles, sur un montant d'au moins 150 milliards. Une estimation sans doute plus proche de la réalité quand on sait que la décontamination et la mise en sécurité de la seule université de Jussieu à Paris coûtera 900 millions. Qui va payer cette remise en conformité aux nouvelles normes ? Si, pour les bâtiments privés, la question apparaît simple puisque la charge du déflocage reviendra aux propriétaires, le problème des bâtiments publics se révèle plus complexe. Un exemple : dans le cadre de la décentralisation, les collèges sont passés sous la juridiction des départements en 1983 et les lycées sous celle des régions en 1986. Ces collectivités locales vont-elles vouloir et pouvoir financer les travaux de déflocage dans les quelque 295 établissements pour l'instant recensés comme contaminés, mais dont la date de construction remonte parfois au début des années 50 ? Autre problème épineux : l'indemnisation des victimes. « Cette affaire va nous exploser à la figure », commente le responsable d'un grand assureur français. Les sociétés d'assurances ont pris conscience du danger. Plusieurs assureurs français, dont les AGF, ont ainsi étudié à la loupe le dossier de l'amiante aux Etats-Unis, qui s'est soldé pour l'instant par un sinistre de près de 20 milliards de dollars (103 mil-liards de francs) sur vingt ans pour les assureurs américains (lire ci-dessous). Mieux, la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA) a créé il y a tout juste un an un groupe de travail sur l'amiante. Officiellement pour évaluer le coût de l'assainissement d'un énorme parc immobilier, à l'image du GAN qui a déjà entrepris de défloquer sa tour à La Défense. Mais pour l'instant, les assureurs se défaussent sur la Sécurité sociale, qui a dépensé 695 millions de francs en 1994 pour indemniser 727 cas. « Les victimes professionnelles relèvent de la Sécurité sociale et en matière de risque environnemental, nous n'assurons que les accidents ; or l'amiante est une pollution non accidentelle. De toute façon, il n'est pas question de participer à la création d'un fonds de garantie », indique-t-on à la FFSA. La jurisprudence qui va naître à la suite de la plainte déposée par l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante pourrait pourtant bien faire changer ce discours. Pierrick Pédel
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