Du mirage des nationalisations à la confrontation des marchés

L'ILLUSION d'un « socialisme industriel », si elle a jamais existé, n'aura duré que le temps de l'immense espoir dont Renault fut porteur. La régie avait pour mission de justifier le principe des nationalisations qui, inscrites dans le Programme commun, devaient être offertes aux électeurs de gauche. Le patronat allait s'insurger, indigné que quelques-uns des plus grands groupes français passent sous la tutelle de l'Etat et - surtout - qu'une nouvelle « nomenklatura » industrielle en prenne les commandes. Il appartenait à quelques représentants des grands corps de l'Etat, en même temps proches collaborateurs de François Mitterrand, de rassurer leurs pairs. Les arguments s'imposeraient d'autant plus que, dans la liste des entreprises à nationaliser qui allait être ensuite établie, les fleurons de l'industrie française concernés ne brillaient pas par leur santé financière. Il ne s'agissait, dans des secteurs comme la sidérurgie, que d'officialiser une situation de fait. Et dans d'autres, comme la chimie, que d'offrir un cadre protecteur à des pans entiers de l'activité industrielle. Afin, comme le répétera François Mitterrand en 1995, d'opposer un rempart au « laisser-passer et laisser-faire du libéralisme ». Il fallait, malgré tout, un symbole pour donner une image à ce qui devait devenir le « fer de lance » de la croissance. Le choix du nouveau président se fixa donc sur Renault, « fille préférée de l'Etat », nationalisée à la Libération par le général de Gaulle, familière aux Français et plongée dans un milieu concurrentiel. La régie fut donc portée à bout de bras ; ses résultats aussi, particulièrement flatteurs à l'arrivée de la gauche. Leur seule évocation devait apporter toute la légitimité nécessaire aux nationalisations, dans l'industrie, des Thomson-Brandt, Rhône-Poulenc, Pechiney-Ugine Kuhlmann, Compagnie de Saint-Gobain et autre Compagnie Générale d'Electricité. Mais lorsque, en 1983, le deuxième gouvernement Mauroy mit le cap sur la rigueur, le symbole de l'entreprise publique ne pouvait déjà plus donner le change. Renault, en situation de faillite virtuelle, allait devoir s'aligner sur les mêmes ratios que ses concurrentes privées et adopter, dans la douleur, leurs méthodes de gestion. Derrière elle tombait la seule justification au principe même des nationalisations. La fin du « socialisme industriel » François Mitterrand, décrétant le « ni-ni » (ni nationalisation nouvelle, ni privatisation), mettait implicitement fin à l'aventure. L'expérience d'un « socialisme industriel » à la française n'irait pas plus loin. Avec la loi de respiration qui autorisait les groupes publics à céder des filiales au privé ou à en acquérir d'autres, le chef de l'Etat permettait d'engager une recomposition du tissu industriel français au regard de laquelle la stratégie des nationalisations n'apparaissait plus que comme une stratégie défensive pour éviter que des entreprises nationales ne tombent sous la coupe de prédateurs étrangers. Restait à restructurer l'industrie française. La tutelle exercée par l'Etat devait dorénavant servir cet objectif. La sidérurgie, la chimie, la téléphonie, l'informatique connurent de vigoureuses concentrations, bouleversant le périmètre des entreprises concernées. En 1985, au cabinet du Premier ministre Laurent Fabius, on évoquait même la perspective de privatisations. Pour des raisons électorales, elles furent laissées aux soins du gouvernement de Jacques Chirac. Au cours du deuxième septennat de François Mitterrand, il n'y eut qu'une tentative pour mettre en cause ces premières privatisations, sur la Société Générale. Le gouvernement de Michel Rocard s'y cassa les dents et François Mitterrand, qui observait l'opération d'un oeil réprobateur, mit fin à à ce triste épisode. On ne revint plus sur ces privatisations. Il était alors implicitement acquis que, remis à niveau, les groupes nationalisés de l'industrie ou de la finance seraient rendus au privé. GILLES BRIDIER
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