Le nouveau gardien de l'euro

Aux Pays-Bas, patrie de Wim Duisenberg, une « vacherie » circule sur celui qui a succédé mardi au Belge Alexandre Lamfalussy à la tête de l'Institut monétaire européen (IME), embryon de la future Banque centrale européenne (BCE) : l'indépendance de celui qui a présidé quinze ans durant la banque centrale de son pays n'aurait jamais duré plus de cinq secondes, le temps que les décisions de la Bundesbank s'inscrivent sur les écrans des ordinateurs d'Amsterdam. Comme dans toute blague, il y a beaucoup de vérité et un peu de malveillance. Depuis 1983, Willem Frederik Duisenberg, soixante-deux ans, a réellement fait du couplage du florin et du mark l'alpha et l'oméga de sa politique à la tête de la De Nederlandsche Bank (DNB), devenant ainsi l'homme du « florin fort ». Mais sa politique a si bien réussi que l'élève a presque dépassé ses maîtres de la Bundesbank. Les taux d'intérêt néerlandais sont inférieurs aux taux allemands, bien que l'économie batave tourne plutôt mieux que celle de son puissant voisin. Rien d'étonnant donc à ce que Wim Duisenberg soit apprécié des Allemands, qui ont toujours soutenu sa candidature à la tête de l'IME. Apprécié est même un mot un peu faible si l'on en juge par les propos du patron de la Bundesbank, Hans Tietmeyer : n'a-t-il pas déclaré un jour de février : « In Wim we trust » (« Nous avons confiance en Wim ») ? Un passé politique. Au panthéon de l'euro, Duisenberg n'est pourtant encore qu'un demi-dieu. L'Institut monétaire européen n'est pas encore la Banque centrale européenne, et il faudra un vote des Quinze pour désigner, l'an prochain, son président, pour huit ans. Duisenberg a d'ores et déjà fait savoir qu'il était candidat, mais les autorités françaises, qui le soupçonnaient ces derniers mois d'être trop proche des thèses allemandes, entendent bien jouer leur carte nationale. Dans cette joute diplomatique, le banquier pourrait bien devoir exercer un sens politique dont il n'est pas dépourvu. Contrairement à d'autres banquiers centraux, ce féru de golf et de voile a en effet un vrai passé politique. Adhérent au Parti van der Arbeid (PvdA, social-démocrate) dès le début des années 70, Wim Duisenberg fut, entre 1973 et 1977, le ministre des Finances d'un des gouvernements les plus à gauche de l'histoire récente des Pays-Bas. Puis, deux nouvelles années, député de son parti au Parlement néerlandais. Sa large carrure terrienne et son ample tignasse blanche ne passant pas inaperçues, l'homme est très connu dans son pays sans que l'on puisse dire cependant qu'il soit « médiatique ». Le travail d'un grand argentier se doit avant tout d'être discret, comme en témoigne la passation de pouvoirs simplissime qui a eu lieu mardi dans la tour de Francfort abritant l'IME. L'engagement politique de Duisenberg est toutefois très pragmatique. Confronté à son ministère au premier choc pétrolier, l'économiste keynésien s'est vite mué en apôtre de la stabilité budgétaire. Ce qui lui valut à l'époque le blâme de ses amis sociaux-démocrates. Tous les gouvernements du pays, quelle que soit leur couleur, n'en ont pas moins appliqué pourtant cette politique-là depuis 1982, année où l'Etat batave frôla la faillite. Pragmatique. Ce pragmatisme ne l'a pas quitté, puisque Duisenberg a récemment déclaré qu'il n'était pas bon de s'agripper aux critères de Maastricht de manière « fétichiste ». Autrement dit, il n'est pas du parti des « trois virgule zéro », qu'incarne, jusqu'à la caricature, le ministre des Finances allemand, Theo Waigel. Un message important, car l'IME remettra en avril l'un des deux rapports sur la conformité des situations économiques des membres de l'Union avec les critères de Maastricht, qui doit permettre au Conseil européen de fixer la liste des futurs membres de la monnaie unique. Pragmatisme économique ou plutôt sens politique ? Sans doute les deux. En témoigne le message qu'il vient d'adresser à Paris : « Quel que soit le premier président (de la BCE), la France doit savoir qu'il ne sera ni un comptable ni un technocrate, comme elle le craint parfois. » Pour autant, l'homme n'est pas prêt à tout abdiquer. « Parler d'un euro faible est un non-sens », répète-t-il à l'envi, et la condition d'un euro fort est pour lui la pleine indépendance de la future Banque centrale européenne. Intransigeant donc, face à la vision française d'un contrepoids politique à la BCE, Wim Duisenberg en est déjà, dans sa tête, le président. Emmanuel Defouloy, à Bruxelles
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