Lockheed Martin joue son va- tout face à Boeing

La restructuration de l'aéronautique américaine, qui paraissait largement terminée, suscite un projet de rapprochement aussi inattendu que gigantesque. Premier producteur de matériel militaire au monde, Lockheed Martin a annoncé, hier, qu'il allait racheter Northrop Grumman, le numéro six de l'industrie américaine de la défense, pour 8,3 milliards de dollars sous forme d'échanges d'actions. La prise en charge de la dette de Northrop par Lockheed, à hauteur de 3,3 milliards de dollars, porte à 11,6 milliards la valeur totale de la transaction. Le groupe qui naîtra d'une telle fusion affichera un chiffre d'affaires annuel de 37 milliards de dollars et emploiera 230.000 personnes, avant les inévitables compressions de personnel. Duopole inquiétant. Si le projet est approuvé par le gouvernement (ce qui est probable, selon les analystes), l'industrie aéronautique américaine sera dominée par deux groupes géants : Boeing-McDonnell Douglas (48 milliards de dollars de chiffre d'affaires) et Lockheed-Martin-Loral-Northrop-Gruman (37 milliards), qui s'affronteront sur quasiment tous les segments du marché. En plus de ces deux titans, on trouvera un troisième larron, Raytheon (21 milliards de dollars de chiffre d'affaires), qui s'est extirpé de la deuxième division grâce à plusieurs acquisitions et en dépit de l'échec de son projet de rapprochement avec McDonnell. Applaudi par les analystes de Wall Street, qui le qualifient de « merveilleuse combinaison entre deux compagnies complémentaires », le projet inquiète d'autres experts. Combinée avec une fusion Boeing-McDonnell Douglas, dont le principe a été récemment approuvé par Washington, la naissance du nouveau Lockheed entraînerait, en effet, une situation de quasi-duopole dans l'aéronautique américaine. « Boeing et Lockheed se partageront les commandes du Pentagone et la concurrence disparaîtra en grande partie, parce qu'il n'y aura quasiment personne pour les inquiéter », déplore Lawrence Korb, analyste à la Brookings Institution. Selon elle, le duopole sera particulièrement évident dans le domaine des avions tactiques. « Le contribuable en subira les conséquences », ajoute Korb. « Quand Lockheed et Martin Marietta ont fusionné, on nous disait que leurs prix baisseraient, alors qu'en fait, le prix du F-22 augmente. » Vitrine américaine. Destiné à s'appeler simplement Lockheed Martin, le nouveau géant de l'industrie américaine de la défense combinera plusieurs armes prestigieuses, allant du missile Trident et de l'avion de chasse F-16 Falcon de Lockheed au missile MX et au bombardier furtif B-2 de Northrop Grumman. Basé à Bethesda, dans la banlieue de Washington, Lockheed Martin emploie 190.000 personnes et réalisait un chiffre d'affaires de 27 milliards de dollars l'an dernier. Implanté à Los Angeles, Northrop Grumman a réalisé un chiffre d'affaires de 8 milliards de dollars en 1996 et compte 45.000 employés. Les deux entreprises fabriquent des missiles, des avions de combat, des armes de précision, de l'électronique militaire et du matériel spatial et maritime. Ayant déjà collaboré sur plusieurs projets, dont le F-22, l'avion de chasse Joint Strike Fighter et des systèmes d'alerte aéroportés, les deux entreprises ont jugé qu'elles devaient s'allier encore plus étroitement pour mieux produire, mieux vendre et conserver une position dominante. « Au moment où notre industrie se mondialise, nous devons continuellement améliorer notre productivité pour être en mesure d'affronter la concurrence », explique Norman Augustine, le charismatique PDG de Lockheed Martin. La fusion est néanmoins une surprise, car le PDG de Northrop, Kent Kresa, avait déclaré à de nombreuses reprises que sa compagnie n'était pas à vendre. Un avenir tracé. En l'espace de cinq années, Norman Augustine a fait de sa compagnie le premier fabricant de matériel militaire au monde. D'abord en développant la présence de Martin Marietta sur le marché des satellites et des fusées, ensuite en orchestrant la fusion entre Lockheed et Martin Marietta, puis en rachetant les activités d'électronique militaire de Loral pour 9,1 milliards de dollars. Le groupe traverse une période faste, puisqu'il a décroché l'an dernier un contrat portant sur le développement de la prochaine navette spatiale et se trouve dans la course pour la construction du prochain avion de chasse léger de l'armée de l'air américaine. Jean-Marie Macabrey, à Washington
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