Banques : Trichet réclame la fin des privilèges

La profession bancaire, qui a souvent eu la dent dure à l'égard de Jean-Claude Trichet longtemps coupable à ses yeux de frilosité en matière de baisse des taux d'intérêt, va désormais songer à lui dresser une statue. Le rapport annuel de la Commission bancaire, qu'il préside en tant que gouverneur de la Banque de France, apporte en effet un soutien sans nuances aux thèses défendues par l'Association française des banques (AFB) sur le thème des « distorsions de concurrence ». Le redressement des banques françaises, explique Jean-Claude Trichet, passe entre autre par une abolition des privilèges « qu'il s'agisse du monopole de la distribution de certains produits spécifiques ou des distorsions liées à la nature juridique des intervenants. [...] Tous les intervenants doivent rechercher, dans des conditions comparables, la rentabilité de leurs fonds propres ». La flèche vise on ne peut plus distinctement les caisses d'épargne, qui font figure de véritables bêtes noires des banques classiques, en bénéficiant seules avec La Poste du droit de distribuer dans leurs réseaux le livret A et qui, par ces mystères dont le capitalisme français a le secret, dispose de fonds propres pléthoriques (64 milliards de francs) qui n'appartiennent à personne. Le Crédit Mutuel, avec le livret Bleu, et le Crédit Agricole, avec le duopole partagé avec la Caisse des dépôts et consignations des dépôts des notaires, entrent également, dans une moindre mesure, dans le champ de tir. Le gouverneur de la Banque de France ne s'en tient pas au seul Ecureuil et s'en prend aussi explicitement à La Poste, deuxième tête de turc de l'AFB. Ainsi convient-il, selon lui, de « soumettre aux mêmes contraintes réglementaires, à la même surveillance prudentielle et à la même transparence des coûts que les banques, toutes les institutions qui exercent certaines activités bancaires. Les activités financières de La Poste posent, à l'évidence, un très sérieux problème du point de vue de l'ensemble du système financier ». Enfin, Jean-Claude Trichet préconise un abandon de la fiscalité qui s'attache spécifiquement aux banques (il s'agit essentiellement de la taxe sur les salaires) et un aménagement du régime des remboursements anticipés - un véritable fléau pour les établissements bancaires en période de baisse des taux - « afin qu'il soit mieux tenu compte du coût induit pour les établissements ».Toutes ces recommandations ne constituent toutefois qu'une partie des mesures à prendre pour rétablir la bonne santé des banques, qui doivent également cesser leurs « comportements imprudents » consistant à privilégier une logique de conquête de parts de marché, quitte à vendre à perte ou presque. L'instance de surveillance des banques pointe une nouvelle fois du doigt les secteurs du crédit où les comportements proches du dumping sont les plus criants : tel est le cas de certains crédits aux particuliers, notamment dans le domaine du logement, et d'une large fraction des concours aux collectivités locales où le niveau des marges pratiquées est rarement de nature à permettre une couverture minimale du risque, dans un domaine où celui-ci n'est pas absent. Par ailleurs, la Commission bancaire invite les établissements à renforcer leur productivité en tarifant leurs produits et services plus justement, mais aussi en diminuant leurs frais généraux. « La suppression de rigidités traditionnelles apparaît indispensable » Là encore, Jean-Claude Trichet enfourche l'un des chevaux de bataille de l'AFB : « Il importe que les banques françaises se rapprochent progressivement du degré de flexibilité qu'ont su acquérir les groupes industriels. De ce point de vue, la suppression de rigidités traditionnelles dans le secteur bancaire, dans de nombreux domaines, apparaît indispensable ». Une manière à peine voilée de dénoncer le fameux décret de 1937 qui régit le temps de travail dans la banque et interdit notamment le travail par relais et par roulement. Privilèges des caisses d'épargne, danger que fait peser La Poste sur le secteur bancaire, dénonciation des prélèvements fiscaux spécifiques, nécessité de limiter les remboursements anticipés, appel à la flexibilité en matière sociale... il ne manque, dans le crû 1995 de la Commission bancaire, pas une des grandes revendications de l'AFB. Alors que les pouvoirs publics commencent à être sensibilisés à ces questions, la contribution apportée par l'autorité de tutelle du secteur, par la voix même de Jean-Claude Trichet, pourrait achever de les convaincre. Ce qui laisse augurer d'une véritable révolution dans l'organisation même du système bancaire. G. de C.
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.