La peur du rouge

Au terme d'une semaine de réflexion, Boris Eltsine aura finalement pris la véritable mesure de sa réélection du 3 juillet. Sa victoire, il la doit pour une bonne part au refus du retour en arrière par une majorité des Russes. La peur du rouge l'aura servi bien davantage que l'attachement aux réformes et aux vertus de l'économie de marché. Le président russe a eu le temps de faire ses comptes : tout bien considéré, le verre de la victoire était à moitié vide. Il s'est trouvé quarante millions de Russes pour déposer dans les urnes un bulletin de vote au nom de Guennadi Zyouganov. Quarante millions de communistes ? Allons donc. Quarante millions de nostalgiques de la puissance soviétique ? Pas davantage. Quarante millions de déçus du libéralisme ? Plus probablement. La révolution libérale, dans sa version la plus sauvage, qui a déferlé sur la Russie n'a pas profité à tous. Aujourd'hui, ce qui subsiste de l'économie russe est mis en coupe réglée par une nouvelle nomenklatura d'affairistes ; une aristocratie de la richesse se pavane sous les yeux de millions de Russes appauvris, humiliés et, de plus en plus souvent, sans travail. Avec cette toile de fond, le vote du 3 juillet prend valeur d'avertissement. Boris Eltsine paraissait avoir compris le message lorsqu'il annonçait hier un changement de cap économique. Fini le temps du serrage de vis budgétaire et monétaire, l'objectif est désormais de stimuler l'activité,de créer des emplois et d'améliorer le niveau de vie de chacun. Un programme qui devrait réconcilier Boris Eltsine avec bon nombre de ses détracteurs. Si les grandes déclarations ne demeurent pas promesses creuses et lettre morte. Pour s'engager dans cette voie, le Kremlin devra évidemment amadouer le Fonds monétaire international. Peut-être l'extension à des millions d'hommes et de femmes des bénéfices tangibles de l'économie de marché vaut-elle qu'on prenne quelques libertés avec l'orthodoxie économique ? La question mérite au moins l'attention. La peur - salvatrice - du rouge ne jouera pas éternellement.
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