Le débat sur les faillites ignore l'Europe

Alors que le projet de loi sur la sauvegarde des entreprises est débattu au Parlement, doit-on regretter que le texte ne traite pas la question des faillites transfrontalières ? Le projet de réforme ne prend en effet pas en compte le règlement européen sur les procédures d'insolvabilité intracommunautaires qui détermine la loi et le tribunal compétent pour ce type de procédures (voir encadré). Le règlement est certes d'application directe mais on peut se demander quel impact il aura, en l'absence de toute précision du projet de loi, sur les nouvelles procédures de conciliation et de sauvegarde.Ces procédures peuvent-elles être considérées comme des procédures d'insolvabilité au sens du règlement européen et, à ce titre, prévaloir sur des procédures collectives ouvertes dans d'autres Etats membres ? Pour entrer dans le champ du règlement, ces deux procédures doivent répondre aux conditions de son article 1. A savoir constituer une procédure fondée sur l'insolvabilité du débiteur et entraînant son dessaisissement total ou partiel au profit d'un syndic. Mais aussi être intégrées à l'annexe du règlement listant les procédures de chaque Etat répondant à ces critères. Aujourd'hui, seuls le redressement et la liquidation judiciaires y figurent.Nuire à l'efficacité. Selon Philippe Hameau, avocat associé chez Freshfields, "la sauvegarde et la conciliation ne répondent pas aux conditions du règlement européen". Cette conclusion ne fait pas de doute concernant la conciliation, procédure de prévention et non d'insolvabilité au sens strict, même si elle peut être ouverte s'il y a cessation des paiements depuis moins de quarante-cinq jours. En revanche, le garde des Sceaux, Dominique Perben, a précisé le 8 mars, lors des débats parlementaires sur le projet de loi "faillites", qu'il comptait demander l'intégration de la sauvegarde dans l'annexe du règlement européen. L'idée est que même si cette procédure, qui permet de négocier un plan de réorganisation avec ses créanciers, intervient hors cessation des paiements, elle présente la plupart des autres caractéristiques des procédures d'insolvabilité dont la suspension des poursuites. L'objectif est bien sûr d'éviter que l'ouverture à l'étranger d'une procédure collective stoppe net une sauvegarde, ce qui nuirait à l'efficacité et donc à l'attractivité du dispositif. Il s'agit aussi pour la France de renforcer sa position au niveau des procédures européennes. En particulier, "la procédure britannique, de type liquidative, est très favorable aux créanciers alors qu'en France est privilégiée la continuité de l'exploitation", explique Alexandra Bigot, associée au cabinet d'avocats Willkie Farr & Gallagher.Bref, pas question qu'un créancier alerté par le déclenchement d'une procédure de sauvegarde demande l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité dans un autre pays, de préférence plus favorable à ses intérêts comme la Grande-Bretagne. Cette situation serait toutefois limitée à des cas précis, le créancier ayant à prouver la compétence des tribunaux étrangers, donc que le centre des intérêts principaux de la société est situé dans le pays en question.Eviter des incertitudes. "Or la notion de centre des intérêts principaux est celle qui pose le plus de problèmes d'interprétation dans l'application du règlement", relève Philippe Hameau. S'il existe une présomption forte en faveur du lieu du siège social, d'autres critères sont pris en compte comme le lieu de domiciliation des dirigeants. "Le règlement s'attache davantage au lieu de prise de décision qu'à celui où s'exerce l'activité économique", résume Philippe Hameau. Beaucoup attendent désormais la décision de la Cour de justice européenne (CJCE), saisie de ce problème par les juges irlandais dans l'affaire Eurofood-Parmalat, pour obtenir des précisions.Autant dire qu'intégrer la sauvegarde au règlement européen éviterait bien des incertitudes. Par ailleurs, remarque Alexandra Bigot, "la sauvegarde tomberait sous le coup de la directive d'octobre 1980 qui impose aux Etats membres d'offrir aux salariés une garantie de paiement des salaires lors des procédures collectives. Ce texte a en effet le même champ d'application que le règlement européen puisqu'il retient la même définition des procédures collectives concernées". Conséquence : l'intervention de l'AGS (Association de garantie des salaires) lors de la procédure de sauvegarde, prévue par le projet de réforme des faillites mais âprement contestée par le Medef, serait de fait rendue obligatoire par le droit communautaire.Alexandra PétrovicCe que dit le règlementSelon le règlement du 29 mai 2000, entré en vigueur en mai 2002, l'ouverture d'une procédure collective dans l'Etat de l'Union européenne où la société a le centre de ses intérêts principaux a la prééminence sur celles ouvertes dans d'autres Etats membres. Ce critère est d'abord compris comme le lieu de direction par le débiteur de ses affaires. Le règlement présume ainsi que le centre des intérêts principaux d'une société correspond au lieu où est situé son siège social, mais la preuve contraire peut être apportée.
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.