Quand les décideurs se préoccupent du mal-être des salariés

Absentéisme, stress, démotivation... il n'est pas un jour sans que le malaise des salariés ne soit évoqué par les institutions, les experts ou la presse. Sans attendre le plan de santé au travail dévoilé il y a quelques semaines par le gouvernement, qui prévoit la création d'une agence nationale d'évaluation des risques sanitaires, certains décideurs ont pris la mesure du problème."Si la durée du travail a diminué, les salariés vont devoir travailler de plus en plus longtemps, nous devons le faire avec des collaborateurs en bonne santé", martèle le directeur des ressources humaines de Colas, Hervé Garnier, qui préconise des méthodes préventives et participatives pour maintenir la confiance et le plaisir au travail.Retour du taylorisme. Pour Philippe Askenazy, économiste et chercheur au CNRS (1), la crise actuelle est la conséquence de change- ments organisationnels permanents dans l'entreprise - le juste-à-temps, la qualité totale - qui ont bouleversé les conditions du travail et provoqué le mal-être des salariés. "Cette rationalisation des organisations et des procédures a été menée au détriment de l'humain", déplore l'intéressé.Des propos que confirme l'ergonome François Hubault. Celui-ci souligne que l'autonomie des cadres exigée par les décideurs est l'une des conséquences de la tension actuelle. C'est un fait, la course à la performance des entreprises (flexibilité des horaires, indicateurs de performances) a recréé une certaine forme de taylorisme, générant une forte lassitude, voire une souffrance des collaborateurs. Une enquête européenne menée par Towers Perrin est suffisamment éloquente (2) : seulement 15 % des salariés sont fortement engagés et motivés dans leur travail. 20 % de la main-d'oeuvre européenne ressentirait même un manque total d'intérêt pour son travail. "Il faut que les entreprises se mobilisent pour mettre en place une structure "bien-être au travail" qui doublerait la cellule qualité des produits", insiste Philippe Askenazy, qui met en avant le lien entre absentéisme et déficit de qualité des produits. Et Béatrice Ogée, directrice du programme Bien-être à la carte chez Accor, de renchérir : "Jusqu'à présent, les décideurs parlaient de la conciliation des temps de vie pour évoquer le bien-être des salariés. Aujourd'hui, ce discours quitte la logique sociétale pour s'inscrire dans la stratégie RH des entreprises."Car la France fait figure de mauvais élève au regard des Etats-Unis à entendre Philippe Askenazy. "Aux USA, des experts sont mandatés par les assureurs dans les entreprises pour faire de la prévention et des audits santé. On compte près de 3.000 cabinets d'ergonomes outre-Atlantique contre une centaine seulement en France." Le périmètre de ces professionnels ne cesse d'ailleurs de s'élargir. Les ergonomes sont amenés à réfléchir sur de nouveaux critères (santé, sécurité) dans le processus d'achat d'une machine ou à intervenir sur la conception de lignes de montage pour anticiper les TMS (troubles musculo-squelettiques).Initiatives. Tous les experts sont unanimes : l'amélioration des conditions de travail et le bien-être de salariés ne doit pas se traiter individuellement. Autrement dit, les services à la personne qui fleurissent çà et là dans les entreprises sont insuffisants. Le problème est inhérent à l'organisation du travail et doit être appréhendé collectivement.Le groupe de BTP Colas, qui voit dans le bien-être des salariés un facteur de progrès humain, a l'intention de mener une démarche autour de la santé et du bien-être à l'instar de ce que l'entreprise a mené dans le domaine de la sécurité. Colas a souhaité créer un état d'esprit collectif autour de cette problématique. Objectif : mobiliser l'ensemble des salariés autour de la maîtrise des risques en nommant notamment un "animateur sécurité" dans chacune des 20 filiales et un "relais sécurité" dans les 500 agences dans l'Hexagone. Un colloque annuel favorise les échanges entre filiales et fait aussi office de "boîte à idées". D'autres initiatives (charte et manuel de sécurité, création d'un comité sécurité, formation des salariés, challenges et concours entre filiales) contribuent, certes, à prévenir les accidents, mais aussi à augmenter la performance et la productivité de l'entreprise. Hervé Garnier ne veut pourtant pas entendre parler de la montée du stress ou des TMS dans son groupe."La meilleure réponse au problème du bien-être des salariés, c'est un cadre de travail participatif et une prévention permanente." Pour d'autres décideurs, cette démarche passera par la mise en place de baromètres santé et sécurité qui peuvent mesurer la fatigue, la mobilisation des salariés, l'écoute ou la reconnaissance dans le travail. "Tout ce qui se dit dans les cahiers d'infirmerie est un indice important pour prévenir certains risques. Les salariés y livrent volontiers leurs états d'âme", recommande François Hubault qui parle d'un "management clinicien" à mettre en place. Et de conclure, pragmatique : "L'entreprise devient dépendante de la qualité de l'engagement humain, d'où sa sensibilisation nouvelle aux conditions de travail."Sandrine L'Herminier(1) "Les Désordres du travail", de Philippe Askenazy. Le Seuil 2004.(2) Enquête européenne Towers Perrin sur l'engagement des salariés (août 2004).
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