Les entreprises polycentriques en quête de repères identitaires

Le siège social, place unique de décision, lieu d'exercice d'un pouvoir concentré, pôle d'attraction pour les évolutions de carrière, serait-il en train d'abdiquer face aux mutations qui touchent - parfois radicalement - l'organisation des entreprises, voire la notion même d'entreprise ? Développement des "business units", des centres stratégiques, des centres de services partagés, effets déstructurants de la globalisation... Quelles sont aujourd'hui la place, la fonction, la valeur de ces sièges que l'on appelait encore, il n'y a pas si longtemps, les "grands bureaux" ?Certes, on est bien loin de modes émergentes outre-Manche, où l'on voit des sièges virtuels et désincarnés investir les salons d'hôtels pour réunir par vidéoconférence des comités exécutifs fragmentés. Mais la tendance marquée au polycentrisme, si elle privilégie le rééquilibrage vers les sites de production, se double souvent d'un brouillage identitaire. "La grande autonomie dont ont longtemps joui nos filiales nous apparente à une fédération de PME. Sur le terrain, dans les filiales, on se sent très loin du siège", explique Jean Ghedira, directeur de la communication de Keolis.L'architecture développée par l'opérateur de transport public de voyageurs ne facilite pas le sentiment communautaire. Très ramassé au regard de la taille du groupe, le siège social emploie 150 salariés. "Il a compté jusqu'à 220 collaborateurs. En deçà de 150, il faut faire d'autres types de choix." Quant aux 30.000 collaborateurs dans les 200 filiales, le lien avec la maison mère ne tient qu'au contrat passé avec les collectivités territoriales.Keolis joue la proximité. Pour renforcer l'identité de groupe, Keolis a choisi de jouer la carte de la proximité. Déplacements permanents du président dans les filiales, industrialisation des processus et mutualisation de certains tarifs, implantation d'une partie du siège - notamment le département études et recherche - à Lyon, où se trouve la plus importante filiale (4.300 salariés), déploiement de centres de services partagés au niveau des directions déléguées.Les efforts consentis par les directions générales pour affirmer leur légitimité ne garantissent pas des résultats immédiats. Si le glissement vers le terrain des leviers de décision ne peut que redonner du sens à la valeur entrepreneuriale, le paramètre financier, qui préside aux grandes orientations des entreprises en matière d'organisation, ne facilite pas les choses.L'adage qui voulait il y a encore peu de temps qu'"on dépense facilement au siège ce que l'on gagne difficilement sur le terrain" demeure d'actualité.D'autant que l'émancipation des entités opérationnelles oblige les entreprises à développer au sein de leur structure centrale des systèmes et des ressources de pilotage et de contrôle, en plus de fonctions transverses renforcées ou émergentes : communication, benchmark, partenariats, gestion de la chaîne logistique, organisation, méthode.À l'inverse de la tendance générale, la Macif a procédé il y a six ans à un renforcement des services du siège. Tout en conservant une architecture atomisée autour de ses onze comités régionaux, la mutuelle a opté pour une centralisation accrue et la constitution de nouvelles directions : juridique, audit interne, marché produits... "Le réaménagement de l'organisation a été conduit dans un souci de cohérence, de recherche d'homogénéité et d'efficacité après douze ans de régionalisation, explique Patrick Giraud, directeur comptable du groupe et directeur du siège social. Le siège est un organe de contrôle et d'audit permanent. C'est un révélateur des bonnes pratiques et une force de proposition au service de toutes les entités du groupe (régions, filiales...)." Directions intermédiaires. En étoffant ses effectifs de 400 à 1.000 personnes, le siège emploie un peu plus de 10 % du personnel de la Macif. Si, politiquement, le patron du siège reste le directeur général, le poste de directeur du siège social représente, de l'aveu de Patrick Giraud, un "boulot à plein temps". La fonction recouvre des problématiques multiples : RH, gestion immobilière, logistique et suivi de services techniques divers..."Le risque des structures éclatées, c'est la prise d'indépendance, au nom de la course à la rentabilité", affirme pour sa part Patrick Basquez, directeur général délégué en charge des ressources humaines de GSF. L'entreprise de nettoyage industriel (18.500 salariés) compte 15 sociétés de production et 89 établissements (dont 10 créés en 2005). "Dès qu'un établissement atteint une taille critique, nous scindons." Mais, pour maintenir la cohérence, le siège social, réduit à 180 personnes, dont 150 administratifs, mise sur l'échange permanent d'information et le maintien ajusté de l'équilibre avec les 15 sociétés de production, qui jouent le rôle de directions intermédiaires.Muriel Jaouë
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