La prévention en action

Par latribune.fr  |   |  631  mots
On connaissait le théâtre d'entreprise destiné à mettre en scène les conflits internes, les tiraillements entre services, les délicates relations hiérarchiques, les problèmes au sein des équipes. Eurovia l'utilise, lui, pour améliorer la sécurité de ses chantiers. La filiale de travaux publics de Vinci a commandé une pièce de théâtre à la compagnie la Reine blanche. Deux mois d'écriture ont donné Attention travaux !, un scénario d'autant plus pertinent qu'il a été écrit par Cédrik Spinassou, 28 ans, ancien conducteur de travaux chez Eurovia, devenu acteur. Sur scène, six personnages parmi lesquels deux antihéros qui s'opposent. D'un côté, Ludovic, un jeune ingénieur amené à diriger pour la première fois une équipe sur un chantier. Totalement dépassé, il répète néanmoins à l'envi : " Je gère, je gère. " De l'autre, Carlos, tête brûlée qui refuse d'appliquer les règles élémentaires de sécurité : porter des gants, des lunettes de protection, etc. Dans cette pièce de 50 minutes s'enchaînent avec humour tous les incidents imaginables d'un chantier.Une priorité. Soixante-dix représentations ont déjà été données dans la France entière. " En janvier, au début de la tournée, les responsables d'agence étaient dubitatifs. Amener les ouvriers au théâtre leur semblait être un pari osé. Trois mois après, tous réclamaient le spectacle ", affirme Sabrina Thibault-Loucatel, chef de ce projet chez Eurovia. Un véritable investissement pour la filiale de Vinci qui a produit le spectacle en exclusivité, rémunéré une troupe pendant six mois, et loué des salles. Sans compter les demi-journées non travaillées des 20.000 ouvriers-spectateurs. Cet effort n'a rien d'étonnant puisque l'entreprise a fait de la réduction du nombre d'accidents au travail l'une de ses priorités. " Sur les trois dernières années, ils ont baissé de 45 % ", déclare Georges Balavoine, directeur de la prévention. Tous les moyens classiques de prévention ont été mobilisés : une meilleure préparation des chantiers, des quarts d'heure de sécurité systématiques avant le démarrage des travaux, la création d'un réseau de délégués " sécurité ", etc.Mais cela ne suffit pas. " Il y a un taux résiduel de 10 à 12 accidents pour un million d'heures travaillées lié au comportement de nos collaborateurs ", précise Georges Moreau, animateur qualité en Bretagne. D'où la nécessité de renouveler les outils de communication, de jouer sur les ressorts comiques et dramatiques d'une pièce de théâtre, bref, de rajeunir le discours sur la sécurité. La liberté d'un spectacle permet aussi de traiter des sujets tabous. Cédrik Spinassou ne s'en est pas privé. À travers le jeune ingénieur inexpérimenté et mal préparé, c'est toute la chaîne managériale qui est mise en cause. Les ouvriers ne sont pas non plus épargnés. Par négligence, Carlos se met en danger et met en danger ses collègues. Le racisme, le haschich, les comportements délinquants sont abordés franchement. Et c'est ce réalisme qui suscite le débat dans la salle après les représentations. Les ouvriers n'hésitent pas alors à poser des questions embarrassantes pour la direction autour de la course à la productivité, qu'ils ressentent comme l'un des principaux facteurs d'accidents. De leur côté, les conducteurs de travaux rappellent la possibilité pour un ouvrier qui se sentirait en danger d'user du droit de retrait. Aucune statistique ne permet de mesurer encore les bénéfices de ce spectacle. Ce qui est sûr, c'est qu'il a frappé les esprits. " Je gère, je gère " ou " ne fais pas ton Carlos " sont devenus des " gimmicks " sur les chantiers d'Eurovia.