EDF, un leader en quête de modèle

L'ouverture du capital d'EDF ? Une opération réussie avec brio, certes ! Toutefois, osons porter un regard sur la situation paradoxale de ce champion français, leader mondial de l'électricité. Avec un pied dans le monde du monopole de service public et l'autre dans le jeu concurrentiel, le groupe n'est-il pas aujourd'hui un géant aux pieds d'argile ? D'un côté, un ex-monopole de service public, assis sur un pacte social ancien synonyme pour certains d'inertie, voire d'immobilisme, occupant encore, à l'heure de l'ouverture des marchés, une position dominante en France alors que la concurrence peine à trouver une place. De l'autre, un groupe ambitieux qui opère à l'heure actuelle une mutation majeure, se dotant d'une force de frappe commerciale de premier ordre, capable demain de gagner des parts de marché significatives dans le gaz, prêt à en découdre avec des concurrents à l'échelle européenne. À l'issue de plusieurs années de transformation opérationnelle pour s'adapter aux différentes échéances de l'ouverture des marchés, le groupe s'est doté d'une organisation moins intégrée, qui le rend plus agile et plus adaptable aux évolutions du secteur.Logique hybride. Dans un marché européen de l'électricité structurellement imparfait (faible interconnexion des réseaux en Europe, non-stockabilité), la dérégulation se traduit aujourd'hui plutôt par un renforcement de la position des anciens champions nationaux que par une reconfiguration nette des parts de marché. On note à ce titre la très grande difficulté pour de nouveaux entrants à se faire une place significative sur les marchés. Par ailleurs perdurent plus que jamais des logiques de régulation portées par les puissances publiques, notamment en matière de tarifs et de décisions d'investissement. Ces caractéristiques, si particulières pour un marché dit "libéralisé", vont forcer à l'avenir les principaux acteurs européens à s'adapter à une logique hybride, et à trouver des leviers de performance pour les activités régulées (transport, distribution), différents de ceux des activités dérégulées (production, sourcing, commercial). Reste entière, pour EDF, la question de la réconciliation entre ces deux logiques si opposées, entre optimum du service public avec ses exigences sociétales et de non-discrimination, et l'optimum économique des parts de marché et de la profitabilité, avec comme marqueur commun in fine la valeur boursière.Les défis concurrentiels s'avèrent donc nettement moins critiques pour EDF que ceux liés à l'émergence de ces nouveaux équilibres, et plus profondément à l'invention d'un modèle de développement et de management.Pour réussir sa transformation, le groupe doit en effet aujourd'hui refonder son modèle, autour de deux séries de questions clés :- quel modèle adopter pour une entreprise publique "prise" entre le marché, l'État actionnaire et sa mission de service du public ? Comment réconcilier l'exigence de performance financière et commerciale, naturellement mise en tension par le jeu concurrentiel et les marchés financiers, avec un monde régulé par nature ? Comment établir une logique d'ensemble homogène, permettant de bâtir un système de management cohérent ?- comment rénover le modèle managérial interne en intégrant les nouvelles exigences de performance, de mobilité, d'attractivité ? Comment moderniser un "pacte social" si particulier à l'entreprise, fait d'engagement pour le service public, de sécurité de l'emploi, de parcours professionnels structurés et d'un ascenseur social particulièrement performant ?Sortir de schémas classiques. Confronté à cette crise de modèle, à cette crise d'identité, le groupe se retrouve en position délicate pour affronter les problèmes stratégiques lourds :- quelle logique de développe- ment international, dans un marché électrique peu intégré à l'échelle européenne, marqué par de faibles synergies et un niveau de risque particulièrement élevé ? Comment faire accepter à la Grande-Bretagne, l'Allemagne et l'Italie une stratégie d'acquisition sans contreparties en France ?- vers quels choix énergétiques évoluer, ou plutôt vers quel équilibre, entre la prééminence actuelle du nucléaire, les exigences liées au renouvellement du parc de centrales, la pression croissante mise sur les énergies renouvelables ou encore le développement en cours de l'activité gaz ?Face à autant de questions complexes, un élément de réponse réside dans la capacité d'EDF à sortir de schémas classiques trop simples et à s'interroger sur la mise en place de leviers de dynamique interne spécifiques à chaque métier. À cette échelle, il est possible de retrouver des identités, des cohérences de valeur permettant de clarifier les modèles de management et donc les stratégies d'acteur. Cette approche "brownienne" peut seule créer les conditions d'une nouvelle cohérence globale et permettre de refonder un modèle d'avenir.C'est sans doute à ce prix qu'EDF trouvera demain sa place parmi les trois ou quatre champions de l'énergie en Europe.
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