"Des mots tels que plaisir et passion doivent réinvestir les discours sur l'entreprise"

Se retrouver PDG d'Eurest Inflight, qui compte 2.500 salariés, à tout juste 30 ans est une réussite plutôt rare pour un autodidacte. Quel a été votre parcours ?- J'ai un parcours atypique au regard du modèle français. Issu d'un milieu de profession libérale, j'ai été émancipé à 16 ans et j'ai suivi une première année de sciences-éco à la fac avant de monter ma première entreprise. Je travaillais alors sur les chantiers pendant l'été et j'ai eu l'idée de livrer des repas aux ouvriers qui emmenaient leur gamelle au boulot. Rapidement, mon ami d'enfance et moi-même avons décroché des clients, en nous fournissant auprès d'un traiteur local. En 1990, nous avons créé l'entreprise de restauration Corest sans un sou, mais avec le soutien de la Banque populaire que nous avions réussi à convaincre de nous prêter 200.000 euros. Avec une cuisine de 2.000 m2, nous avons prospéré et commencé à livrer des établissements en région toulousaine, comme la clinique Ambroise-Paré. Cinq ans plus tard, Corest employait 200 salariés et était parvenue à l'équilibre, avec 6,1 millions d'euros de chiffre d'affaires. Je l'ai alors revendue à Sodexho pour un peu moins de 1 million d'euros afin de me lancer dans une nouvelle activité. En effet, Bruxelles venait de déréglementer les services aux compagnies aériennes et une rencontre avec le fondateur d'Air Liberté, Lotfi Belhassine, m'avait convaincu de me lancer dans le catering aérien [service de restauration à bord, Ndlr]. Nous avons donc créé Catair en 1996 et commencé nos activités auprès des compagnies aériennes : logistique, repas, boissons et journaux. Trois ans plus tard, nous nous étions étendus sur neuf aéroports et avions dépassé les 15 millions d'euros de chiffre d'affaires. J'ai alors rencontré Alain Dupui, du groupe britannique de catering Compass, groupe qui a pris 20 % de notre capital. En 2000, de nombreux concurrents se sont présentés pour nous racheter, mais Compass a fait valoir son droit de préemption et nous avons cédé Catair afin qu'elle intègre Eurest Inflight, dont j'ai pris la direction.Comment avez-vous négocié votre passage dans le secteur très fermé du catering aérien ?- J'ai dû faire un forcing incroyable pour être reconnu auprès de la chambre de commerce et d'industrie de Toulouse, gestionnaire de l'aéroport de Blagnac. Pour le catering, une autre entreprise était déjà sur place et je ne pesais pas lourd avec ma petite boîte de restauration collective. Pénétrer cette place forte a demandé un sacré acharnement. Au bout d'un an, nous avons trouvé des locaux attenants à l'aéroport pour lancer Catair. Mais trois mois après le début des activités, notre principal client, Air Liberté, déposait le bilan. Il a fallu convaincre d'autres compagnies. Notre argument : nous étions 30 % moins cher que nos concurrents avec une stratégie d'outsourcing et une production d'assemblage. Mais à l'époque, personne ne croyait à cette possibilité de baisser les prix. Nous avons mis trois ans à convaincre Air France. Catair a connu une belle expansion et réalise aujourd'hui plus de 35 millions de chiffre d'affaires avec huit filiales dans différents aéroports français. Aujourd'hui, les prix du catering ont quasiment baissé de 50 % par rapport à l'année 1996. Ce que nous avions initié est devenu une norme.En revendant Catair à Compass et en accédant au poste de Chief Executive Officer d'Eurest Inflight, vous entrez dans le cercle des grands patrons toulousains. Vous sentez-vous enfin dans le sérail ?- Je ne me sens ni un grand patron, ni un homme de sérail. Je ne fais pas partie des cercles de décideurs locaux. Je ne critique pas le système, mais il s'agit d'un choix de vie. Avec une famille de trois enfants, des copains fidèles et une douzaine d'activités sportives et de loisirs, je n'ai tout simplement pas le temps. Parmi les grands patrons, je suis impressionné par l'humilité et la capacité de Pierre Fabre [patron des laboratoires pharmaceutiques Fabre, Ndlr] à avoir développé une telle entreprise, tout en restant profondément régionaliste et indépendant. Aujourd'hui, on parle trop souvent de l'entreprise uniquement à travers sa reconnaissance publique et l'argent qu'elle génère. D'une part, la première me laisse indifférent et je n'ai pas une grande passion pour les médias. De l'autre, l'argent n'est que le résultat du travail de l'entreprise, pas sa raison d'être. J'aimerais voir réapparaître des mots tels que plaisir, passion, capacité d'épanouissement et aventure humaine dans les discours menés autour de l'entreprise.Entre-temps, vous avez racheté le Toulouse Football Club relégué en troisième division. Quelles ont été vos motivations ?- Lorsque j'ai décidé de reprendre le Toulouse Football Club (TFC) en 2001, l'image du club était détestable. Il venait d'être relégué en 3e division et seuls trois joueurs professionnels ont accepté de rester avec un salaire diminué. La gestion d'un club de foot m'était totalement étrangère, mais j'étais stimulé par l'aventure sportive et le défi que cela impliquait. J'ai alors commencé à mettre en place les outils classiques de gestion et de contrôle d'entreprise. J'ai convaincu Erick Mombaerts d'entraîner l'équipe et Hugues Henry, issu du rugby, de nous rejoindre comme directeur général. Nous avons misé sur les jeunes et développé la formation. Nous avons reçu le soutien de plusieurs partenaires tels qu'Orange et Pierre Fabre. Cela nous a permis d'investir dans le Stadium pour en faire un lieu de vie agréable au service des spectateurs. Grâce au travail de toute l'équipe, à nos convictions et aussi, un petit peu, à la chance, nous sommes parvenus à remonter en ligue 2, puis en ligue 1.Localement, votre fonction de président du TFC vous colle à la peau. Le foot est-il un bon passeport pour un patron ?- L'image que peut renvoyer le football est à double tranchant. D'une part, elle apporte une bonne visibilité. Mais de l'autre, quand on me dit : "oui, je vous connais par le TFC", cela implique une certaine méfiance dans le monde de l'entreprise. J'ai cependant le sentiment que les choses sont en train d'évoluer positivement dans cet univers émaillé par des affaires pas toujours reluisantes. Je suis membre du conseil d'administration de la Ligue professionnelle et je constate que les lois qui régissent le sport professionnel vont dans le bon sens, notamment en matière de transferts. Je suis convaincu que le football retrouve petit à petit son intégrité et une légitimité aux yeux de tous.Un club de foot peut-il être géré de la même manière qu'une entreprise classique ?- Il s'agit avant tout d'une entreprise de spectacle. Dans un sens, je me sens comme un producteur de cinéma qui va s'efforcer d'offrir le meilleur cadre de travail possible à son équipe, tout en composant avec la logique économique. Mais certains clubs ne fonctionnent pas du tout ainsi. Chelsea peut se permettre d'acheter les meilleurs joueurs sans se soucier de son équilibre financier. C'est aussi vrai pour Marseille et le PSG, dans une moindre mesure. A Toulouse, j'ai essayé d'assainir le TFC en créant un holding et en générant de nouvelles activités diversifiées autour de son image : salon de coiffure, restaurant, chaîne de télévision. Je veux faire du TFC un club de dimension régionale identitaire, respectant certaines valeurs qui nous sont chères : courage et combativité.Etes-vous optimiste sur la situation économique de la France ?- Notre pays décline chaque jour un peu plus, mais ne veut pas le reconnaître. Personne n'imagine qu'un jour la France puisse se retrouver dans une situation de crise similaire à ce que l'Argentine a connu par exemple. Nous avons perdu le goût du travail et l'entreprise a sa part de responsabilité. Elle ne génère plus de passion, d'enthousiasme et de rêve. Cela a été remplacé par la "passion du temps libre" comme facteur d'épanouissement. Mais n'oublions pas qu'il ne tire sa légitimité que comme complément ou récompense de l'activité professionnelle.Quelle est votre position sur le projet de Constitution européenne ?- Je pense que je ne ferai jamais de politique, mais je suis pour la validation de ce texte. Nous ne devons pas nous montrer réfractaires au changement, ni avoir peur des autres. La Constitution va nous donner le pouvoir d'aller de l'avant vers une Europe équilibrée, entre libéralisme et protection sociale. Il ne faut pas se tromper sur la tournure que prend le monde : à moins de 250 à 300 millions d'habitants, il sera difficile de s'épanouir économiquement. Et n'oublions pas que la richesse d'une Europe forte aura des conséquences positives pour l'ensemble de ses habitants.Vous venez de racheter les eaux minérales d'Alet au groupe agroalimentaire 3A en février dernier. Quels sont vos projets pour cette entreprise ?- La branche perd 1,5 million d'euros par an. Tout l'outil industriel est à rénover et à déplacer, et c'est bien pour cela que peu de monde s'est intéressé au dossier. Le challenge est excessivement difficile et je compte repositionner cette marque sur le créneau régional du pays cathare pour lui permettre de trouver un second souffle. Et sauver les vingt emplois actuels de l'entreprise.Propos recueillis par Florence Pinaud
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