La capitale russe à la traîne

Laissons donc gloser tous ceux qui nous appellent des outsiders, tonne le vice-maire de Moscou, Valeri Chantsev. Plus ils en parlent, mieux c'est pour nous et ils seront bien déçus à la fin." Mais un mois après que le Comité international olympique eut rendu son rapport d'évaluation sur les cinq projets sélectionnés, l'optimisme des autorités moscovites prend des airs de wishful thinking. Car au-delà des flatteries diplomatiques qualifiant la candidature de Moscou de "très sérieuse", le CIO a laissé filtrer quelques remarques glaciales sur celle-ci : "Une planification insuffisamment détaillée" et "un manque d'informations de base". Deux critiques qui ne laissent pas de doute sur le rang occupé par la capitale russe, nettement à la traîne derrière ses concurrents Paris, Londres, Madrid et New York. La date du 6 juillet est attendue sans impatience, car les Moscovites n'y croient pas beaucoup. Du reste, les médias se sont fait très discrets sur le sujet, comme pour amortir la déception attendue. Agacées par ce "défaitisme", les autorités russes s'imaginent qu'à l'opposé les médias étrangers défendent ardemment leurs candidatures respectives."Rien n'est joué""Je ne comprends pas pourquoi notre presse ne fait pas de même !", déplore Alexandre Polinski, directeur adjoint du comité pour la candidature de Moscou. "Je pense que nos médias auraient pu déployer davantage de patriotisme !" Au lieu de cela, certains journaux s'interrogent déjà sur une éventuelle candidature pour les Jeux suivants, en 2016. "Je ne veux pas évoquer ce scénario parce que je dois croire que nous allons gagner. Tant que le CIO n'a pas tranché, rien n'est joué", s'accroche Chantsev, qui préside également le comité supervisant la candidature de Moscou.Pourtant Moscou était certaine de ses avantages. La capitale russe peut se targuer de posséder déjà la plupart des infrastructures sportives nécessaires à la tenue des JO. "Nous avons déjà 23 lieux sportifs, soit davantage que nos concurrents", appuie Alexandre Polinski. Moscou compte bien utiliser ces infrastructures qui "ne nécessitent que des réparations cosmétiques", selon Valeri Chantsev. En premier lieu, il s'agit du stade Loujniki de 84.000 places, lequel avait accueilli les cérémonies d'ouverture et de fermeture des Jeux de 1980.Tout cela devrait permettre, toujours selon le vice-maire, d'organiser les JO "les plus compacts jamais tenus car pour la première fois, tous les événements, y compris les matchs de football et les régates pourront se tenir dans les limites de la ville". Un bon point alors que le CIO lutte contre le gigantisme et travaille à ce que l'organisation des JO puisse être accessible à des pays en voie de développement.Reste que Moscou ne veut pas avoir l'air du parent pauvre. Le maire Iouri Loujkov a promis un budget de 10 milliards de dollars pour l'organisation des Jeux. "La majeure partie de la somme viendra de la poche d'investisseurs privés et la mairie contribuera à hauteur de 4,5 milliards de dollars, a indiqué Iouri Loujkov. Je peux garantir que nous remplirons toutes nos obligations."Soutien de SamaranchLa plus grande partie de cette somme servira à construire les infrastructures manquantes, dont un vaste complexe de 12.000 places dédié au tennis. Baptisé "Juan Antonio Samaranch", du nom de l'ancien président du CoJo - qui défend aujourd'hui activement la candidature de Madrid -, le complexe "sera à la mesure de Roland-Garros", selon le vice-maire. Une arène de 50.000 places est aussi prévue pour héberger entre autre le club de football le plus populaire de Moscou. Très sûr de lui, Valeri Chantsev affirme que "les constructions seront achevées dès 2010, pour qu'il n'y ait pas l'ombre d'un doute".Mais il n'a pas échappé aux inspecteurs que Moscou souffrait d'un certain nombre de maux sévères. En premier lieu, une congestion catastrophique de la circulation à laquelle n'échappe que le cortège présidentiel, qui bloque quotidiennement la circulation d'une partie de la capitale pendant deux bonnes heures. Pour améliorer ce point, les autorités moscovites ont concocté une solution originale, mais qui laisse les experts dubitatifs. Baptisé "Concept Moscou-Rivière", le plan organise la circulation des spectateurs et des athlètes sur la rivière Moskva, près de laquelle se trouvent la plupart des sites olympiques. Tout une armada de bateaux devrait ainsi sillonner la rivière afin de contourner le problème des embouteillages. "Il ne faudra que quinze minutes pour aller du Kremlin au stade Loujniki alors qu'en voiture, le trajet peut prendre jusqu'à 1 h 30", commente Chantsev.Autre handicap fondamental, la considérable sous-capacité hôtelière de Moscou, entretenue artificiellement par une municipalité contrôlant étroitement le secteur. Propriétaire de pratiquement tous les hôtels moscovites, la mairie entrave tous les projets sur lesquels elle n'a pas le contrôle. Résultat, la catégorie des hôtels touristiques 2 et 3 étoiles de standard occidental est pratiquement inexistante. Pour accueillir les visiteurs, Moscou doit en outre faire d'importants efforts de signalétique. Les autorités ont jusqu'ici consenti bien peu d'efforts pour aider ceux qui ne lisent pas l'alphabet cyrillique à s'orienter. Quant au problème des policiers toujours prompts à extorquer des pot-de-vin aux allogènes, les autorités peuvent au moins se rassurer : le cortège bien encadré des inspecteurs du CIO n'avait aucune chance de s'en apercevoir.Le passif de la sécuritéMais un coup du sort a manqué ruiner tout le soin pris pour enjoliver l'état des forces de l'ordre. Le dernier jour de la visite du CIO a coïncidé avec une tentative de meurtre tout près de Moscou contre le très puissant patron du producteur d'électricité russe, Anatoli Tchoubaïs. L'incident a rappelé que le chapitre de la sécurité constituait un lourd passif pour la candidature moscovite. L'absence d'attentat majeur à Moscou depuis un an n'a pas fait oublier que la capitale russe a connu ces dernières années quelques-uns des pires actes terroristes de la décennie. La corruption endémique au sein des forces de l'ordre et la prolongation interminable du conflit tchétchène ne sont pas de nature à rassurer, alors que la prise d'otages de 800 personnes dans un théâtre moscovite fin 2003 reste fraîche dans les mémoires.Enfin, le manque de soutien à la tête de l'Etat inquiète. Tandis que Tony Blair, le roi Juan Carlos et Jacques Chirac ont annoncé qu'ils se rendaient à Singapour pour tenter de convaincre les indécis, Vladimir Poutine a déjà renoncé à faire le déplacement. Il est d'ailleurs question de n'envoyer qu'un vice-Premier ministre. Dans un rare éclair de lucidité, Valeri Chantsev admet que : "Nous, les Russes, nous n'arrivons pas à faire les choses telles que nous l'avons planifié. Nous avons besoin de nous retrouver au 36e dessous et seulement alors nous réalisons qu'il est temps d'agir." La présence à Singapour du président Poutine, ceinture noire de judo et sportif enthousiaste, n'aurait pas été de trop.Emmanuel Grynszpan, à MoscouUne évaluation "difficile"Moscou ne se remettra probablement pas d'une première impression selon laquelle "la planification insuffisamment détaillée dans le dossier de candidature et le manque d'informations de base ont rendu difficile l'évaluation du projet".Le budget de 1,84 milliard de dollars est le plus modeste de toutes les villes candidates, alors que "d'importantes améliorations des infrastructures" sont nécessaires.Néanmoins, 77 % des Moscovites et 76 % des Russes soutiennent la candidature de leur capitale, où les Jeux de 1980 avaient été pénalisés par le boycott de plusieurs pays occidentaux.
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