La gueule de bois des viticulteurs

La crise. Les Vignerons indépendants de France (VIF) ne parlaient que d'elle, lors de leur 23e congrès qui s'est déroulé du 19 au 21 avril dernier dans le Gard. Pour ces viticulteurs qui produisent à eux seuls près de 50 % du vin français et emploient 77 % des salariés permanents du secteur, l'heure est à la déprime. "Comment voulez-vous qu'on s'en sorte alors que nous sommes chaque jour confrontés à de nouvelles exigences en termes de qualité et que les prix ne cessent de s'effondrer ?" se désole Guillaume Molinier, viticulteur à Nîmes. Pourtant, selon les derniers chiffres publiés par l'Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV), la France reste le premier pays consommateur de vin, devant l'Italie et les États-Unis, avec près de 33 millions d'hectolitres, et le premier producteur mondial avec plus de 20 % des volumes et près de 40 % de la valeur des échanges mondiaux. Alors pourquoi rien ne va plus ? "La crise que traverse aujourd'hui la viticulture française est la plus grave depuis trente ans, car elle n'est plus seulement conjoncturelle mais structurelle", explique Christian Paly, président de la Confédération nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie (Cnaoc). Surproduction, baisse de la consommation, hétérogénéité de la qualité et manque de lisibilité de l'offre : les causes de cette crise sont multiples. Les consommateurs de vin ne représentent désormais plus que 62 % de la population française, contre 67 % en 2000 et 69 % en 1995. Le vin demeure la boisson favorite des Français, mais ces derniers ne sont plus que 21 % à en consommer régulièrement en 2005, contre 24 % cinq ans auparavant. "Les modes de consommation ont radicalement changé, le vin est désormais associé au plaisir et à la fête, il s'invite surtout à table lors des repas socialisés", analyse Françoise Brugière, chef de la division études et marchés de Viniflhor, l'office national interprofessionnel des fruits, des légumes, des vins et de l'horticulture. Si 82 % des Français débouchent une bouteille lorsqu'ils reçoivent des amis, seuls 28 % d'entre eux boivent en effet du vin lors d'un repas ordinaire. Recul des exportations Les conséquences de cette chute de la consommation intérieure pèsent d'autant plus lourdement sur la filière que les vins français se vendent désormais difficilement à l'étranger. Les exportations françaises ont reculé en 2005 de 3,4 % en volume (12,5 millions d'hectolitres) et de 2,8 % en valeur (3,6 milliards d'euros). La chute est encore plus vertigineuse pour les vins de Bordeaux : - 3,6 % en volume (1,7 million d'hectolitres) et - 4,2 % en valeur (1,032 milliard d'euros). Mais pourquoi la France a-t-elle tant de mal à exporter ses vins alors que la consommation mondiale augmente de 1 million d'hectolitres par an depuis dix ans ? "Parce que la qualité de nos produits ne suffit plus pour faire face aux vins du Nouveau Monde, regrette Xavier de Volontat, président des VIF. Nous sommes condamnés à découvrir les joies du marketing, que nos concurrents pratiquent depuis bien longtemps et pour lequel nous avons plus d'un train de retard." Soucieux de trouver des solutions, le gouvernement vient de présenter un ultime plan pour sauver la filière viticole. Le Premier ministre, Dominique de Villepin, a ainsi annoncé, le 23 mars dernier, le déblocage de 90 millions d'euros. 38 millions d'euros seront consacrés aux "aides d'urgence", 12 millions à l'exportation et 40 millions aux prêts consolidés. Même si la plupart des professionnels ont apprécié le geste, les critiques n'ont pas tardé à fuser. "Aucun gouvernement n'a jamais été capable d'accorder un budget national suffisant pour venir en aide à la viticulture française ; notre organisation a investi 13 millions d'euros pour faire la promotion des 3 millions d'hectolitres des AOC de la vallée du Rhône, alors laissez-moi rire devant la somme prévue pour l'ensemble de la production nationale", ironise Michel Bernard, président d'Inter Rhône. Polémique Mais c'est surtout l'autorisation d'utiliser en France les copeaux de bois pour parfumer les cuves qui fait polémique. L'État considère cette mesure comme un moyen efficace de lutter contre la concurrence des vins chiliens, australiens et néo-zélandais qui utilisent cette technique depuis longtemps. Et pour cause : le procédé coûte six à huit fois moins cher que le vieillissement en fût de chêne ! Mais les copeaux de bois restent en travers de la gorge d'un grand nombre de viticulteurs qui craignent une dénaturation de la production française. Dans l'entourage du ministre de l'Agriculture, Dominique Bussereau, on se veut pourtant rassurant : "Les oenologues affirment que les copeaux n'altèrent en rien la qualité des vins et qu'il est absolument impossible de faire la différence avec des vins mûris en fût de chêne." Les viticulteurs ne voient pas du tout les choses sous cet angle. "Quoi qu'en disent certains, il existera toujours une différence entre les vins vieillis en fût de chêne et les vins de copeaux, exactement comme le jus d'orange pressée n'a rien à voir avec celui en brique", soutient Michel Bernard. Pour lui, les vins d'appellations d'origine contrôlée (AOC), fleuron du savoir-faire français et symbole d'authenticité, qui se mettront à utiliser des copeaux de bois signeront leur arrêt de mort. D'autres sont pourtant plus nuancés. À l'image de Xavier de Volontat, qui dénonce "l'immobilisme mortifère" de certains vignerons et leur déconseille de rejeter un outil capable de rendre les vins de pays compétitifs à l'export. Ces mesures suffiront-elles à guérir la gueule de bois des viticulteurs français ? Pas sûr. Car c'est le manque de visibilité des vins qui constitue avant tout leur talon d'Achille. "Il nous faut aujourd'hui des produits clairement identifiés, la France viticole ne doit pas ressembler à la Samaritaine, on ne doit pas trouver de tout à tous les étages", insiste Xavier de Volontat. Il est vrai qu'entre les grands crus, les cépages, les vins de table, les 450 AOC et les 140 vins de pays, le consommateur peine à s'y retrouver. L'enquête réalisée par Viniflhor sur la consommation du vin en France révèle d'ailleurs que 49 % des Français ne font aucune différence entre une AOC et un vin de pays. 72 % d'entre eux reconnaissent même avoir du mal à choisir un vin. Des chiffres qui laissent présumer des difficultés que rencontrent les vins français pour se faire (re)connaître à l'international. "Trop complexe et trop peu lisible, l'offre viticole française présente une diversité brouillonne qui, si elle fascine les passionnés, rebute de plus en plus de consommateurs en France et surtout à l'étranger", souligne le préfet Bernard Pomel dans son rapport intitulé "Réussir l'avenir de la viticulture de France", commandé par le ministère de l'Agriculture. Le gouvernement veut donc améliorer la lisibilité de l'offre. Son idée : lancer un logo "France" et supprimer la catégorie des vins délimités de qualité supérieure (VDQS), en les réorientant vers une AOC ou un vin de pays. Un nouvel élan Reste à savoir si ce dispositif permettra de redonner au vin français la force dont il a besoin pour s'imposer sur les marchés étrangers et conquérir ceux qu'on appelle désormais les "néoconsommateurs". Il en faudra en tout cas sûrement plus pour convaincre les viticulteurs de distiller d'avantage. Alors que la France avait obtenu de Bruxelles l'autorisation de permettre une distillation de crise de 1,5 million d'hectolitres de vins d'appellation d'origine, seuls 1,085 million d'hectolitres ont en effet été proposés à la distillation en 2005. "C'est très insuffisant et d'autant plus inquiétant que la France a d'ores et déjà formulé une demande de distillation de 4 millions d'hectolitres pour 2006 [2 millions pour les appellations d'origine et 2 millions pour les vins de table]", déplore Françoise Brugière. Les viticulteurs de la région Paca ont fourni les plus gros efforts avec 420.000 hectolitres distillés en 2005, contre 175.000 hectolitres pour les bordelais. Autant dire que tous ne semblent pas prêts à mettre de l'eau dans leur vin. Amélie Cordonnier
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