Paris, Londres, Francfort, le match des places financières

Paris, Londres ou Francfort ? Laquelle des trois grandes places financières va s'imposer en Europe ? Les grandes manoeuvres boursières actuelles seront déterminantes. Kurt Viermetz, président du conseil de surveillance de Deutsche Börse, déclarait en mars dernier : "Si l'intégralité du système de Bourses de valeurs européennes devait s'installer à Francfort, alors vous pouvez éteindre les lumières dans le reste de l'Europe." Mais depuis ces déclarations fracassantes, Euronext a tourné le dos à la Bourse allemande pour s'engager avec la Bourse de New York (Nyse). Et le Nasdaq a pris une importante participation dans la Bourse de Londres.Avec ou sans le Nasdaq, l'hégémonie de la City londonienne n'est pas remise en cause. Leader mondial sur les marchés des changes et des produits dérivés, Londres menace en outre New York dans la cotation des actions, en attirant les émetteurs des pays émergents. Isolée sur la scène internationale et éloignée du tissu industriel, Francfort compte capitaliser sur la présence de la Banque centrale européenne (BCE) et l'excellente santé financière de Deutsche Börse. Paris espère enfin que le mariage Euronext-Nyse lui assurera la suprématie en Europe continentale, misant déjà sur son expertise reconnue en recherche et en gestion.Paris, Londres ou Francfort ? La Tribune dresse un état des lieux des trois places en se fondant sur huit points de comparaison, alors que débute aujourd'hui dans la capitale le treizième forum financier d'Europlace, association de promotion de la place de Paris.L'histoire et l'environnement1/Paris 1/Londres 3/FrancfortFrancfort n'est devenu le premier pôle financier en Allemagne fédérale (RFA) qu'après la seconde guerre mondiale, quand l'occupant américain décida qu'elle devait remplacer Berlin à cette fonction. Après la reconstruction industrielle, Francfort la financière a accompagné l'essor de la RFA vers une nation exportatrice et un deutsche mark stable.Londres comme Paris jouissent en revanche d'une forte légitimité historique pour avoir toujours centralisé les activités financières. Étendu sur un mile carré (The Square Mile), le quartier des affaires de la City of London est bâti sur l'ancienne Londinium romaine, sur la rive gauche de la Tamise. La City trop à l'étroit s'est même étendue dans le pôle moderne de Canary Wharf, havre des grandes banques internationales, et vers l'ouest, où l'élégant quartier de Mayfair est devenu le berceau des hedge funds.La Bourse de Paris s'est installée dès 1808 dans le Palais Brongniart. Si le régionalisme des Bourses a disparu en France, il persiste outre-Rhin avec six établissements coexistant aux côtés de Francfort (Berlin, Stuttgart...). Malgré l'implantation de la BCE (Banque centrale européenne) en 1998, la métropole aux bords du Main est également concurrencée comme centre bancaire par Munich et Düsseldorf. Son point faible reste le secteur de l'assurance, surtout implanté à Munich et Cologne... Paris concentre un grand nombre d'entreprises françaises et étrangères dans sa région, devançant sur ce critère Londres et New York. Le risque de délocalisation des émetteurs français semble néanmoins réel, notamment en direction de Londres. Francfort est en revanche imbattable question coût de la vie et qualité des transports.Poids économique et emploi1/Londres 2/Paris 3/FrancfortÀ Paris on estime à 265.000 environ le nombre d'emplois financiers, contre 317.000 dans le Grand Londres et 80.000 dans la région de Francfort. Cette activité représente 6,8 % de l'emploi en Ile-de-France, contre 8,5 % pour le Grand Londres et 3,2 % pour la Hesse. En revanche, à Francfort-sur-le-Main même, où le quartier des affaires est surnommé Mainhattan, un employé sur dix vit de la finance.Le dernier rapport de la City of London (avril 2006) évalue le chiffre d'affaires de l'industrie financière de gros (wholesale) à 173 milliards d'euros dans l'Europe des Vingt-Cinq, dont 35,4 % sont réalisés au Royaume-Uni, 19 % en Allemagne et 10,7 % en France. Selon une étude réalisée l'an dernier par le cabinet Accenture à la demande de la Fédération bancaire française (FBF), l'activité reste sous-dimensionnée en France. La capitalisation boursière rapportée au PIB (produit intérieur brut) montre un rapport de 1 à 2,5 entre la France et le Royaume-Uni. Toujours selon cette étude, les banques d'investissement n'occupent que 25.000 personnes à Paris, contre 196.000 à Londres. Tirées par le leader Deutsche Bank, les banques allemandes rattrapent quant à elles leur retard de rentabilité.L'esprit de place1/Londres 2/Paris 3/FrancfortIl souffle surtout à Londres. La City est aussi jalouse de ses traditions qu'elle est active dans la promotion de son environnement. Elle dispose d'un pouvoir législatif et exécutif propre. Le Lord Mayor est une personne qui compte dans les relations politiques internationales. Le marketing mise moins sur un patriotisme économique à la française que sur l'attitude accueillante de la place pour les investissements étrangers. La régulation s'inscrit pleinement dans cette logique. Créée en 2000, la Financial Services Authority (FSA), régulateur unique, travaille en coopération avec les acteurs de la place. En France, Paris Europlace, présidée par Gérard Mestrallet, patron de Suez, est une association de 150 membres (banques, émetteurs...) qui a acquis une réputation internationale. Elle est à l'initiative de l'Institut Europlace de finance créé en mars 2003, lequel développe des synergies entre universitaires, chercheurs en finance et professionnels des métiers financiers. Également, le projet de pôle de compétitivité mondial "industrie financière-technologie et innovation" met l'accent sur l'information financière, la formation et la recherche en finance. Ce dynamisme fait des envieux de l'autre côté du Rhin. "Europlace a pour nous valeur d'exemple et nous essayons de poser des jalons pour mieux défendre la place financière de Francfort", déclare à La Tribune, Rüdiger von Rosen, président du DAI, institut allemand représentant les sociétés cotées outre-Rhin. Également active est la jeune association formée par de grandes banques dénommée "Initiative pour la place financière" (IFD). Son président, le Suisse Josef Ackermann, patron de la Deutsche Bank, n'est cependant guère aimé outre-Rhin malgré les succès phénoménaux de la première banque allemande engrangés surtout dans la banque d'investissement dirigée... à Londres. Ackermann n'est par ailleurs pas sorti de ses démêlés judiciaires dans l'affaire Mannesmann. Francfort mise en matière de recherche sur le projet de "maison de la finance" qui sera inaugurée en 2008 sur le campus de l'université Goethe.Les marchés de taux et de change1/Francfort 1/Londres 3/ParisAvec plus de 2.500 milliards d'euros d'en-cours, le marché obligataire allemand domine en Europe. Les emprunts publics, réputés liquides, servent de référence malgré l'introduction de l'euro. Mais le plus gros émetteur est la branche financière avec les Pfandbriefe, émises par des banques hypothécaires et établissements publics de crédit. Leur en-cours frise les mille milliards d'euros. Les corporate bonds ou obligations d'entreprises sont populaires en France, mais l'Allemagne se rattrape avec un en-cours s'étant multiplié par 10 depuis 1999. C'est du reste le billet de trésorerie français qui a inspiré la création d'un papier commercial européen dont le label Step (short term european paper) vient tout juste de voir le jour.Londres affiche sa suprématie dans le compartiment des obligations internationales, émises en plusieurs monnaies. Selon l'International Financial Services London (IFSL), les émetteurs britanniques étaient à l'origine de 20 % des 1.861 milliards de dollars d'émissions mondiales. La titrisation est encore sous influence britannique, avec 45 % des opérations réalisées en 2005 en Europe, soit près de 400 milliards de dollars au total.Sur le marché des changes, Londres fait la course en tête, avec 31 % des transactions, devançant les États-Unis (19 %), le Japon (8 %), l'Allemagne et Singapour (5 % chacun). Un marché en majorité animé par les institutions étrangères.Les marchés d'actions1/Londres 2/Paris 3/FrancfortParis est le premier marché d'actions au comptant d'Europe continentale, avec 1.800 milliards d'euros de capitalisation boursière (2.200 milliards pour Euronext), devant Deutsche Börse (1.200 milliards d'euros), mais très loin derrière Londres (5.900 milliards d'euros, dont 2.600 milliards pour les valeurs britanniques et 3.300 milliards pour les étrangères). Le London Stock Exchange (LSE) est devenu un havre pour les émetteurs désireux d'éviter de tomber sous le coup de la loi Sarbanes-Oxley américaine très exigeante notamment sur le reporting financier. La force du LSE réside dans son marché principal (Main Market), mais aussi dans le très liquide AIM (Alternative Investment Market) destiné aux valeurs de croissance. Au 31 mars 2006, le LSE comptait au total 3.141 sociétés sur sa cote, dont 1.473 sur le AIM. Paris Euronext compte à présent 739 sociétés, à quoi s'ajoutent 253 valeurs sur le Marché libre et 48 sur le nouveau segment PME d'Alternext. Francfort accueillait fin 2004 près de 800 sociétés cotées. Dans son projet de fusion avec Euronext, Deutsche Börse prévoit d'installer à Paris la direction des marchés au comptant du nouvel ensemble. La Börse serait aussi prête à sacrifier son système de négoce d'actions Xetra, pourtant efficace, pour laisser place au système d'Euronext. Mais un mariage avec la Bourse de New York ouvre à Euronext des perspectives plus prometteuses, puisque Paris pourrait devenir la plate-forme de cotation européenne du nouveau groupe et davantage attirer les émetteurs transatlantiques.Les produits dérivés1/Londres 2/Francfort 3/ParisLondres avec le Liffe, propriété d'Euronext, et Francfort avec Eurex, développée par Deutsche Börse depuis 1998 via un joint-venture avec la Bourse suisse SWX, se taillent la part du lion du marché des produits dérivés cotés. Une industrie connaissant une croissance fulgurante dans le monde, bien plus rapide que celle des marchés au comptant. Paris tire son épingle du jeu sur les produits dérivés actions. Depuis Paris, les équipes de BNP Paribas et Société Générale trustent les deux premières places mondiales sur ce segment, dominant près d'un quart du marché européen, avec 3,5 milliards d'euros de revenus, selon Paris Europlace.En matière de certificats, des produits à risque modéré car construits à partir de paniers d'actions, l'Allemagne truste environ 66 % du volume traité dans le monde.Londres domine dans le monde des dérivés négociés de gré à gré (Over the Counter) avec une part de marché de 42,6 % en 2004. Pas moins de quatre Bourses des dérivés sont installées dans la City, dont le Liffe, le London Metal Exchange, où sont traitées 90 % des transactions mondiales sur les non-ferreux, l'ICE Futures sur le pétrole notamment et EDX, le dernier-né des marchés dérivés en 2003.L'industrie de la gestion et des hedge funds1/Paris 1/Londres 3/FrancfortParis capitalise sur le taux d'épargne des ménages record de 15,6 % en France, contre 11,2 % en Allemagne et 6,1 % au Royaume-Uni. Ainsi la France est le leader européen de la gestion collective avec 21 % de parts de marché, à égalité avec le Luxembourg, devant l'Allemagne (16 %) et le Royaume-Uni (9 %). Mais cette épargne s'oriente massivement vers les OPCVM monétaires, loin devant les fonds obligataires ou actions. Paris pâtit aussi de l'absence de fonds de pension.Le marché des fonds d'investissement est dominé outre-Rhin par quatre plus gros acteurs (DWS, Union Investment, Deka et DIT) se répartissant 72 % du volume du marché. Selon la fédération des fonds d'investissement BVI, ses 83 membres gèrent près de 1.400 milliards d'euros d'actifs pour des clients privés et institutionnels.Londres est concurrencée dans la gestion d'actifs traditionnelle par la place d'Edimbourg, en Ecosse, où siègent des gérants de fonds et de grandes compagnies d'assurance. Dans l'ensemble, l'industrie britannique avait néanmoins fin 2004 plus de 4.200 milliards d'euros d'actifs sous gestion, avec une orientation pour les marchés actionnaires et une clientèle internationale.En revanche, Londres est la capitale européenne de la gestion alternative. Au point qu'en 2005 plus de trois quarts des actifs des hedge funds gérés en Europe (255 milliards de dollars sur 325 milliards) l'étaient depuis le Royaume-Uni et notamment depuis sa capitale. En comptant également les fonds de fonds spéculatifs et les actifs gérés en Europe par les hedge funds américains, la part de Londres sur le total européen dépasse 90 %. Le débat a été par ailleurs lancé outre Manche par le régulateur FSA, en vue de permettre aux particuliers de placer leur épargne dans les fonds de fonds spéculatifs à partir de 2007.L'ouverture sur l'international1/Londres 1/Paris 3/FrancfortEn termes de nombre de sociétés étrangères présentes sur la cote, Londres devance Francfort et Paris. À la fin de 2005, environ 500 entreprises non britanniques, sur un total de 3.100 valeurs, étaient cotées sur le London Stock Exchange. À Francfort, le rapport est de 159 sur près de 800, et à Paris de 93 sur 646 sur le seul marché principal.Le taux de présence des investisseurs étrangers montre un tableau différent. À Francfort, plus de la moitié du capital flottant au sein du Dax est aujourd'hui aux mains de fonds étrangers. À Paris, au 31 décembre 2005, les non-résidents détenaient 46,4 % de la capitalisation boursière des principales sociétés françaises. Alors qu'à Londres, les étrangers ne détiennent "que" 33 % de la capitalisation boursière totale, un taux stable depuis cinq ans. Le fait est probablement que les fonds anglo-saxons sont en général plus actifs et nombreux à l'étranger que ne le sont leurs homologues d'Allemagne ou de France.La forte présence étrangère est néanmoins une preuve de l'ouverture internationale des places de Paris et de Francfort, ce qui n'est pas sans avoir des conséquences inattendues. Ainsi, par exemple, tombées aux mains d'exigeants actionnaires internationaux, Euronext tout comme la Deutsche Börse se sont vu imposer la recherche d'un partenaire étranger. La stratégie de la Bourse paneuropéenne est en revanche une belle réussite internationale. Le groupe de Jean-François Théodore est le seul à avoir accompli l'intégration de plusieurs entreprises de marché européennes, alors qu'il vient aussi de sceller une alliance avec le Nyse.
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