Soulages, le sombre

Après une trentaine d'années d'absence, Pierre Soulages expose ses oeuvres les plus récentes - l'une d'entre elles a été réalisée en avril dernier - dans deux galeries new-yorkaises. Mais il ne veut pas parler de "come-back" américain. "C'est comme si l'on disait qu'il y a eu une période de creux alors que j'ai été très actif pendant toutes ces années", explique-t-il à La Tribune. A quatre-vingt-cinq ans, le peintre, qui fait partie des quelques grands artistes français vivants, n'a pas chômé depuis 1977, date de sa dernière exposition à New York. Il a accroché ses toiles dans le monde entier, du Japon au Brésil, en passant par la Russie, avec notamment une exposition individuelle au musée de L'Hermitage à Saint-Pétersbourg, faisant de lui le premier artiste contemporain à connaître cet honneur.Il signe son retour sur la scène new-yorkaise avec deux séries d'oeuvres complémentaires. Les unes (1) réalisées sur papier au brou de noix, les autres (2) baptisées "Outrenoir", sont de grands tableaux où le noir, couleur fétiche de l'artiste, domine, mais pour être mis en valeur par des stries. La première série au brou de noix, l'une de ses matières favorites depuis le temps où, très jeune, il découvre que ce produit lui permet de réaliser des noirs très profonds mais aussi très pâles, joue du contraste entre opacité et transparence.Innovation. L'autre série incarne une avancée supplémentaire vis-à-vis du noir. Car cet "au-delà du noir" "est différent de ce que l'on pourrait obtenir de façon traditionnelle avec du noir, et a des conséquences importantes", précise Pierre Soulages. La technique des stries en relief, apparue pour la première fois dans son oeuvre en 1979, invite le noir ou le bleu cobalt à scintiller. Du coup, la lumière pointe et, surtout, va vers celui qui regarde l'oeuvre. "L'espace de la toile est, en fait, devant la toile", commente l'artiste pour qui "non seulement le champ mental est différent, mais aussi le rapport au temps, puisque l'oeuvre vit au moment où elle est vue, dans l'instant". Tout le contraire, donc, d'une traditionnelle peinture "gestuelle" figée dans l'espace et dans le temps.Pierre Soulages a toujours été, depuis son départ de Rodez pour Paris en 1947, un artiste affranchi des tendances contemporaines, postcubistes ou postsurréalistes à l'époque. Il a conquis son propre territoire, le noir. Couleur primordiale, fondamentale, celle qui vient avant que l'enfant voie le jour, celle que les premiers hommes ont choisi parmi toutes les autres dans la nature pour peindre dans la pénombre des grottes. Il a toujours été habité par le noir comme quand, à six ou sept ans, il expliquait à sa mère en trempant son pinceau dans l'encre noire qu'il "dessinait la neige". "J'avais envie de rendre le papier plus blanc", explique-t-il pour parler de la fondation d'une oeuvre devenue éclatante.Lysiane J. Baudu, à New York.(1) Jusqu'au 25 juin, Works on Paper à la galerie Haim Chanin, 210 11e avenue. Tél. : 1.646.230.7200.(2) Jusqu'au 11 juin, Outrenoir (beyond black), à la galerie Robert Miller, 524 West, 26e rue. Tél. : 1.212.366.4774.
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